Salif
Interview

Salif

Événement de la rentrée rap français, la sortie de « Curriculum Vital », deuxième album de Salif, est l’occasion de nous entretenir longuement avec le « Boulogne Boy ». IV my people, Zoxea, Kanye West, le téléchargement… Comme sur disque, Salif s’est livré sans calcul.

Abcdr du Son : On va revenir sur tes débuts. Comment t’es tu lancé dans le rap ?

Salif : En voyant les Sages Poètes de la Rue sur scène. Déjà, ils étaient de mon quartier et puis je trouvais qu’ils avaient vraiment quelque chose au niveau du style, de la dégaine. A ce moment là, je n’étais pas du tout à fond dans le rap. Le fait de les avoir vu devant moi a matérialisé un peu la chose et ensuite j’ai apporté mes propres retouches. Eux parlaient énormément de leurs flow, Dany Dan de ses sapes et moi j’étais plus dans mon délire caillera à raconter les choses que je faisais dehors. Par rapport aux mecs avec qui je traînais, le rap n’était pas forcément la chose à faire donc j’ai commencé un peu en cachette. J’étais dans mon coin et de temps en temps j’allais voir Zoxea pour lui montrer ce que je faisais. Au fur et à mesure, ça a commencé à se construire : j’ai fait les backs de Zoxea, sa tournée et c’est comme ça que j’ai rencontré Kool Shen. Quand je faisais les backs de Zoxea, je rentrais toujours sur une impro, différente chaque soir. Pas d’impro préparée donc et, de toute façon, j’étais tout le temps défoncé donc je ne me posais pas vraiment la question. Je pense que c’est à ce moment que Kool Shen a repéré ma fougue, mon envie et sûrement un certain talent aussi. Il faut savoir que j’avais déjà commencé à bosser un album solo avec Zoxea à l’époque où il avait son studio, avant l’aventure IV my people. Kool Shen venait de faire celui de Zoxea et m’a dit qu’il aimerait bien produire le mien sur sa structure. J’en ai parlé avec Zoxea qui m’a dit de foncer.

A : On entend beaucoup de choses sur IV my people aujourd’hui. Plusieurs anciens du label (Tepa, Madizm) gardent des souvenirs plutôt mitigés de tout ça. Quel est ton sentiment personnel par rapport à tout ça ?

S : Dans ce genre de situations, il y a deux solutions. Soit tu restes uniquement bloqué sur l’aspect négatif des choses, soit tu fais en sorte de te souvenir des meilleurs moments. C’est comme avec une meuf. Parfois tu vas discuter avec elle et tu vas avoir l’impression qu’elle ne va retenir que le mauvais aspect de la relation… [Il marque une pause] Après, je vais être franc. Étant donné que sur IV my people j’étais un peu le mec qui était mis en avant, je n’ai jamais vu tous les problèmes que certains ont pu rencontrer. J’ai pris de l’oseille, sur les albums IV my people il y avait quatre morceaux à moi… Je n’ai jamais eu à me plaindre. Mais à un moment, j’entendais tellement les gens parler que je leur disais : « allez, on fait une réunion ! ». Si je n’ai jamais eu de problèmes, c’est aussi parce que je n’ai jamais hésité à discuter avec Kool Shen. Je n’ai pas eu un rapport de fils/père avec lui dans le sens où j’avais une vie avant lui, j’ai fait de l’oseille avant lui… Quand ça a arrêté de marcher dans le rap, je suis reparti vers ce que je savais faire.

Après, c’est sûr que si tu considérais Kool Shen comme ton père en attendant qu’il te donne à manger et que, finalement, il ne t’a pas donné ce que t’escomptais, c’est différent… Aujourd’hui encore, je n’ai aucun souci avec Kool Shen. Au-délà de l’aspect rap, on va pouvoir se retrouver et parler pendant des heures. Tout simplement parce qu’on est potes. Après, il y a des choses sur lesquelles on s’entendait, d’autres sur lesquelles on ne s’entendait pas. Comme avec n’importe qui. Je pense que toi aussi, ça t’arrive de bosser avec des gens avec qui tu peux avoir des différends. Ça ne t’empêchera pas de devenir pote avec eux. Maintenant, si je me bloque sur les aspects négatifs, je vais t’en trouver des choses qui ne fonctionnaient pas. Je préfère me dire que ce sont des mecs qui ont sorti nos disques et qui nous ont permis de nous affirmer dans cette musique d’une manière ou d’une autre. Chacun d’entre nous est devenu quelqu’un suite à cette expérience. Je préfère en retirer ça en sachant que ma carrière ne se résume pas à IV my people. C’était une étape de ma carrière qui correspondait aussi à une étape de ma vie. D’ailleurs, à partir du moment où j’ai arrêté de tiser, je n’étais plus trop dans le label. Je n’avais pas fait la tournée de Kool Shen, je n’avais pas posé sur ‘L’avenir est à nous’ alors qu’il me l’avait proposé, je n’étais pas sur l’album de Serum… A un moment donné, j’ai dû récupérer ma vie. Du coup, je me suis volontairement retrouvé en marge de tout ça. Ça ne va pas m’empêcher de tomber sur Madizm et de discuter longuement avec lui. C’est la même chose pour Kool Shen ou Dany Boss. Il s’agit aussi de personnes qui représentent un moment de ta vie. C’est comme quand tu retrouves plusieurs années après un pote du primaire. Je n’ai vraiment aucun problème.

A : Ce sont des gens qu’on pourrait retrouver sur ton album ? [NDLR : L’interview a été réalisée le 15 septembre 2009, deux semaines avant le sortie de l’album]

S : Non. Même si je devais voir Madizm pour qu’il me passe un son spécial. On s’est croisé au studio mais on n’a pas eu le temps de se recapter. Je pense que je bosserai avec lui sur le prochain album. D’ailleurs, je n’ai aucune honte à dire que Madizm est l’un des plus grands producteurs en France. Après, il a un caractère très particulier… Il va te prendre la tête sur des petits trucs, il a ses opinions bien arrêtées, t’as forcément tort si t’es pas de son avis… Il est relou [Rires]. J’arrive à faire la différence entre l’humain et le taf. Je suis allé chez des producteurs qui avaient un matos de fou : une MPC, une SSL, 12 expandeurs… Avec Madizm, j’ai vu un mec assis sur un coussin avec une MPC 3000, un pauvre petit expandeur et une platine accompagnée d’une toute petite table de mixage. Il a sorti du son qui faisait peur à tout le monde. Le mec est talentueux. Sur cet album, j’ai bossé avec d’autres mecs parce que j’en avais besoin. J’ai un rapport à la musique qui est très proche de celui que je vais avoir avec une meuf : si tu baises toujours la même meuf, tu vas avoir envie d’aller voir ailleurs si c’est meilleur ou pas [Rires].

A : Qui seront les producteurs alors sur cet album ?

S : J’ai trouvé mon noyau dur avec J Faze qui est un producteur suisse, Sayd des Mureaux et Blastar. Ils sont tous les trois rentrés dans mon univers et m’ont proposé beaucoup de choses. A chaque fois que je demandais quelque chose, ce sont eux qui se rapprochaient le plus de ce que je voulais. Quand je recommencerai le prochain album, je continuerai à bosser avec ce noyau dur. D’ailleurs, avec Sayd, on est déjà reparti sur de nouveaux morceaux.

Ce sont des gens qui m’ont tout doucement ramené vers du rap, un peu moins lent et dark que ce que j’ai pu faire ces derniers temps. En France, les mecs qui te donnent des prods sont généralement démotivés : « Ouais mais de toute façon, on ne passera pas à Skyrock, faire du rap en France c’est dur… ». Avec cette mentalité là, tu fais les morceaux super dark de Nysay, tu fais Prolongations dans les ténèbres, Boulogne Boy même s’il y avait un peu d’éclaircies dessus…Le rap français est dark parce que tout le monde est là-dedans. Je ne connais pas un seul rappeur français qui est heureux. Même ceux qui vendent sont malheureux ! Tout ça joue sur le moral des gens et sur la musique qu’on va faire.

Je me suis aussi rendu compte de quelque chose. J’écoute du rap, je fais du rap…Mais en fait j’attends quelque chose de bien précis de ce rap. Je ne peux pas écouter un morceau de rap s’il n’est pas dur, s’il n’y a pas un côté rue. D’une certaine manière, c’est un problème.

A : Pourtant, le premier extrait de l’album, ‘CV’, est beaucoup moins dark que d’habitude avec ses sonorités westcoast…

S : Je suis d’accord et c’est dû aux gens que j’ai rencontré et avec qui j’ai travaillé. Ça m’a permis de prendre du recul sur la musique que je faisais. Pour moi, le rap a toujours été le prolongement de ce qui se passe dans la rue. Rien d’autre. Du coup, je m’en foutais du flow, de la prod… Tout ce que je voulais c’était rapper. Et je comprends que, pour un mec qui écoute en face, ça peut être lassant. Avant je ne te l’aurais pas dit comme ça mais j’ai pas mal évolué là-dessus via mes rencontres.

Maintenant, pourquoi les rappeurs français sont dans ce rap dur ? Beaucoup vont se dire « si je fais ça, tout le monde sera content. Je n’aurai pas révolutionné le genre mais je serai dans la moyenne ». Je pense qu’au bout d’un moment, t’es obligé de proposer quelque chose nouveau aux gens. Pour moi, le rap c’est les X-Men : t’en as un qui crache du feu, l’autre qui provoque le tonnerre, etc. C’est ça qui fait que les gens vont suivre un artiste. Les seules choses qu’on a prises des cainris ce sont les bandanas, les pantalons baissés, les grands t-shirts blancs, les bling bling, les clash… Mais c’est tout ! Alors que la rigueur dans le taf, la productivité, la spontanéité, rigoler en interview… Personne n’a gardé ça.

« Les seules choses qu’on a prises des cainris ce sont les bandanas, les pantalons baissés, les grands t-shirts blancs, les bling bling, les clash… Mais c’est tout ! Alors que la rigueur dans le taf, la productivité, la spontanéité, rigoler en interview… Personne n’a gardé ça. »

A : Tu disais que le rap était le prolongement de ta vie. A l’époque de ton premier album, tu avais justement des morceaux très personnels mais on avait le sentiment que l’alcool agissait presque comme un bouclier. Aujourd’hui, on a l’impression qu’avec le temps, tu a pris plus de hauteur et que c’est le cynisme qui a pris la place de l’alcool…

S : On me parle encore beaucoup de ce premier album si bien que ça finit par me casser les couilles. « Ouais, ton premier album défonçait, c’était une bête de période etc. ». En même temps ça fait plaisir quand on vient te dire ça mais ça te ramène systématiquement en arrière. Pour moi, c’était juste un album alors j’ai essayé de comprendre ce qui s’est passé. Quand tu réécoutes ‘C’est ça ma vie’, le discours n’a pas changé d’un poil par rapport à aujourd’hui. Le deuxième morceau du maxi c’était ‘C’est chaud’. Pareil, on est encore dans un discours très rue qui n’a pas changé depuis. Avec le recul, mon album faisait figure de parenthèse par rapport à tout ça. Avant de faire cet album, je venais de me faire péter par les keufs et j’étais sous contrôle judiciaire. Le fait d’avoir un contrat avec Kool Shen et que je sois en tournée à ce moment là via Warner m’a permis de ne pas aller en prison. Comme j’avais 17 piges et que j’étais le plus jeune, tout le monde me disait qu’il fallait que je me calme et que je me mette sérieusement au rap. De là, j’essaye de m’éloigner au maximum de mon quartier. On est tout le temps en tournée. Ce qui faisait que je touchais beaucoup à l’alcool et que j’avais beaucoup moins d’histoires de rue à raconter puisque je n’étais pas dans le quartier à cette période. Comme je ne raconte que ce que je suis en train de vivre, j’ai raconté ma vie en tournée. L’alcool, le fait d’avoir une meuf qui me soupçonnait de baiser d’autres meufs comme j’étais loin d’elle, d’avoir un peu de recul sur mon passé à cause de la galère récente avec la police d’où le morceau sur mes parents, ‘Bois de l’eau’ découlait directement du fait que j’étais tout le temps défoncé…Voilà, t’as l’album. Il est arrivé à un moment où j’avais quitté la rue pour le rap.

Je disais aussi « il suffit d’un faux pas pour que tout reprenne, je l’aime mon rôle de caillera ». Une fois que l’album sort, j’arrête de boire de l’alcool. Niveau rap, c’est en stand-by. Qu’est ce que je fais ? Je vais jouer un peu à PES, au foot, au basket, je vais aller courir…Où je vais ? Je retourne dans la cité. Ça dure 1 jour, 2 jours… »Bon il se passe quoi sinon ? C’est quoi les plans ? » Voilà, c’est reparti. C’est ce qui fait que des gens ont eu l’impression que sur mes projets suivants, je suis retourné en arrière. Ben ouais, je suis retourné chez moi.

D’ailleurs, tous les mecs du quartier me disaient que l’album ne me ressemblait pas. « C’est pas ça notre vie, nous c’est la bicrave etc. ». C’est vrai qu’à cette époque là, je traînais avec des gens plus âgés comme Madizm et Kool Shen, qui ont une approche de la vie qui ne résume pas au quartier et qui m’ont emmené ailleurs. Avec le recul, je comprends ce que certains potes me disaient. Cet album n’était qu’une facette de moi.

Finalement, mes albums c’est un peu comme Star Wars. « Tous ensemble chacun pour soi », c’est le dernier finalement. J’ai limite envie de te dire que « Curriculum vital » est mon premier album.

A : Sur « Curriculum vital », t’as cherché à faire un disque qui représenterait toutes tes facettes ?

S : Honnêtement, j’ai arrêté « d’essayer de faire ». Parce qu’après tu te prends beaucoup trop la tête. Tu vas regarder « Terminator », tu vas peut-être le trouver parfait alors que le réalisateur ne sera pas satisfait de plusieurs éléments du film.

J’y suis allé beaucoup plus simplement sur cet album. Je ne me suis pas dit que j’allais faire tel morceau pour les meufs, tel morceau pour les mères de famille, tel morceau pour Bouneau… Si tu regardes, j’ai enregistré ‘Eeny Meeni Miny Mo’ en étant complètement défoncé. Le morceau est un assemblage de freestyles sans aucun thème. Le seul lien qui existe entre ces freestyles c’est Lord Kossity qui fait le refrain. Les gens ont kiffé ce morceau. Est-ce qu’ils se sont posés des questions ? Je fais de la musique, pas des mathématiques. On envoie une prod et je rappe dessus. C’est comme ça que j’ai fonctionné sur l’album en sélectionnant au final les morceaux qui ont le plus de cohérence tous ensemble, quitte à en laisser des réussis qui ne rentreraient pas dans ce bloc. Et contrairement aux autres, je ne mettrai pas deux ans à ressortir un autre album. Là mon album est fini, je suis déjà sur un autre album et sur « Prolongations 2 » qui n’aura que des nouveaux morceaux.

A : Qu’est ce que tu vas faire de tous les morceaux que tu n’as pas retenus ?

S : Pff, j’en jette certains, j’oublie l’existence d’autres… Des fois, quelqu’un m’appelle pour me dire qu’il a 7 morceaux à moi. Je ne m’en souvenais pas. C’est sur des disques durs et, parfois, ils ne sont même pas en ma possession. C’est de la musique. Sérieusement, les rappeurs se branlent sur eux-mêmes. « Ah mon ceau-mor, c’est un truc de ouf, je te fais pas écouter » [Rires]. « Je ne sortirai ce morceau que dans trois ans, il est trop bon« … Mais sors-le ! S’il est trop bon, ça te poussera à en faire un encore meilleur dans la foulée. Pour moi, le rap c’est aussi de l’entraînement. C’est pour ça que j’enregistre autant. Je ne vais pas m’arrêter, rester chez moi, me reposer… Nan, je vis au studio ! « Mets la prod et on y va« . Pour moi, c’est ça la musique.

Le problème c’est que les seules choses qu’on a prises des cainris ce sont les bandanas, les pantalons baissés, les grands t-shirts blancs, les bling bling, les clash… Mais c’est tout ! Alors que la rigueur dans le taf, la productivité, la spontanéité, rigoler en interview… Personne n’a gardé ça. Là-bas, les mecs peuvent sortir un couplet de fou sur leurs mixtapes sans qu’il se retrouve obligatoirement sur leurs albums. Tout simplement parce qu’ils ne vont pas se dire qu’ils ont sorti un couplet de fou mais qu’ils ont juste rappé. Chaque morceau que je fais n’est qu’un morceau de plus.

A : Tu fais énormément de featurings et on a l’impression que tu ne refuses que très peu d’invitations finalement.

S : Je vois le rap comme une forme de compétition. Quand je me retrouve en studio avec un rappeur, on discute, on prend des nouvelles, c’est cool. Mais dès que l’instru part, je me dis qu’il faut que je le couche. Et je pense que ça doit être l’état d’esprit de n’importe quel rappeur.

D’ailleurs, on m’a souvent dit que mon rap était « trop dur ». Je le prends presque comme un compliment. Si mon rap est « trop dur », ça veut dire que j’ai quelque chose que les autres n’ont pas. De toute façon, tout le monde viendra te dire que ce que tu fais est « trop ceci » ou « trop cela » à partir du moment où tu ramènes un truc. Sur mon premier album, on m’a souvent dit que je parlais trop d’alcool par exemple. Peut-être mais, au final, les gens ont kiffé.

A : Par rapport à cet esprit de compétition, il y a eu une sorte de surenchère à un moment avec Zoxea qui a fait ‘Le king de Boulogne’, Booba ‘Le duc de Boulogne’ et Dany Dan ‘ Le pape de Boulogne’. Tu n’as pas eu envie de rentrer là-dedans en sortant un morceau ?

S : Non parce que je ne cherche pas à devenir qui que ce soit à Boulogne. J’y suis beaucoup moins souvent qu’avant et, sur le plan rapologique, c’est un endroit gâché. Il y avait tellement d’entités qu’on aurait pu réaliser un truc mortel mais des chamailleries à deux balles ont bloqué ça. Pour moi, Boulogne rime avec perte de temps et, quelque part, perte d’argent.

Après, le fait que Zoxea fasse le ‘King de Boulogne’ me paraît légitime dans le sens où c’est lui qu’a ramené le rap à Boulogne. Même ‘Le duc de Boulogne’ est passé chez Zoxea, est allé lui faire écouter ses sons et lui a dit « Tu penses que c’est bien ? » L.I.M est passé chez Zoxea et lui a demandé « Tu penses que c’est bien ? » Mala est allé chez Zoxea et lui a demandé « Tu penses que c’est bien ? » Je suis allé chez Zoxea et je lui ai demandé « Tu penses que c’est bien ? » Chaque mec de Boulogne que tu vois aujourd’hui est passé un jour chez Zoxea, a pris des instrus chez lui et l’a regardé en se disant « il est trop fort ». Au niveau de la musique, bien sûr que Zoxea est le leader de la scène boulonnaise. Je n’ai pas de pudeur à te dire qu’il était super fort, super prolifique, qu’il savait produire… Après, il y a le parcours et peut-être qu’il a fait des erreurs mais c’est autre chose. En tout cas, c’est le ‘King de Boulogne’.

A : Aujourd’hui, quels sont tes rapports avec Zoxea ?

S : Si on se voit, on va parler cinq heures sans problème. Honnêtement, je viens d’un endroit où les mecs me parlent de tuer des gens, de trucs super violents… Quand je suis dans le rap, c’est pas pour reproduire ce schéma là. Je suis tellement dans mon délire que je ne casse les couilles à personne. Et personne ne me casse les couilles. Je ne rentre pas dans les délires de clash. Surtout que c’est quelque chose récupéré des cainris mais qui, ici, est super mal fait.

A : Tu as souvent critiqué les clashs dans tes textes. Pour toi, ça ternit l’image du rap dans les médias ?

S : Il faut comprendre que les médias français prennent l’aspect le plus mauvais du rap et vont le mettre en avant. Ça fait perdurer l’idée que le rap n’est qu’une musique ghetto faite par des noirs et des arabes qu’il ne faut pas écouter. Ils ne parlent jamais de nous et dès que le clash Sinik/Booba a explosé, le Parisien s’est jeté là-dessus. Pareil pour l’histoire de Rohff avec son frère. C’est là où je pense qu’on a déjà perdu dans le rap en France : on se retrouve face à des gens qui ne veulent aucunement que cette musique existe. C’est pour ça que j’ai arrêté d’essayer de faire des morceaux qui parlent à la France parce qu’en réalité tu ne parles toujours qu’aux mêmes gens. Ces morceaux auraient du sens si tu savais qu’un public plus large allaient les écouter mais, hormis une dizaine de milliers de brebis égarées qui vont tomber dessus, ça ne va pas être le cas. Je pense qu’on fait une musique qui doit exister par elle-même et que c’est le public de cette musique qui doit s’agrandir.

C’est comme si tu ne vends des grecs qu’à des rebeus et des renoi et que les babtous passent devant en se disant « c’est mort, je ne calcule pas les grecs ». Aujourd’hui, il n’y a que des jeunes ou des personnes sensibles à la musique hip hop qui s’intéressent au rap. Plein de gens vont te dire qu’ils écoutent Jay-Z, Kid Cudi ou Kanye West mais qu’ils ne veulent pas entendre parler de rap français. Pourtant, ils écoutent du rap !

Ici, le rap français se résume à la banlieue. Mais, d’ailleurs, c’est pas faux. Aux Etats-Unis, ils vont s’écouter un 50 cent sans problème alors qu’il va parfois aller beaucoup plus loin que nous dans ses propos. Le rap français renvoie uniquement l’image de la banlieue et ça gêne pas mal de gens.

A : Puisqu’on parle des médias, il y a eu toute une polémique autour d’Orelsan et de son morceau ‘Sale pute’. Qu’est ce que t’en as pensé ?

S : Je pense que j’ai fait des morceaux bien plus hardcores que ça. Simplement, ça choque davantage quand c’est un blanc qui va tenir ses propos. C’est normal ! D’habitude, il s’agit de ces renois et rebeus dont on sait qu’ils disent plein de conneries, qu’ils s’insultent tout le temps… C’est comme ça que je le vois et je ne trouve pas ça étonnant que ça les choque davantage quand il s’agit d’Orelsan que de Salif. A un moment donné, c’est normal que, de par ma couleur de peau, je me reconnaisse plus dans un renoi. De la même manière, c’est normal qu’un babtou puisse se reconnaître davantage dans les lyrics d’Orelsan que dans ceux d’un renoi qui ne va pas forcément raconter les mêmes choses. Donc, quand les médias voient quelqu’un qui pourrait être leur fils tenir ces propos, c’est normal qu’ils se mobilisent davantage.

Après, concernant la polémique, je me demande s’il a vendu plus de disques grâce à ça. Sinon, je connais Orel depuis longtemps via Skread et j’avais enregistré un morceau avec lui pour cet album. Finalement, je n’ai pas gardé le morceau mais je n’ai aucun problème avec lui et je suis ouvert à toutes les collaborations.
Sérieusement, je rêve d’étriper un mec avec un t-shirt « Le rap c’était mieux avant » [rires].

« Sérieusement, je rêve d’étriper un mec avec un t-shirt « Le rap c’était mieux avant ». »

A : T’avais enregistré un morceau avec Dabaaz d’ailleurs…

S : Bien sûr. Je vais te dire : mets-moi n’importe quel rappeur, peu importe le délire dans lequel il est. Je vais aller sur son terrain et je vais le coucher. Si tu veux qu’on rappe vite, on va rapper vite, si tu veux parler de drogue, on va parler de drogue, tu veux qu’on expérimente un nouveau flow, on va le faire… C’est pour ça que je fais plein de featurings. Aller rapper avec Dabaaz, ça me permet de voir autre chose. Je trouve qu’il n’y a pas assez de connexions comme ça qui se font dans le rap français.

Je pense que chaque rappeur a sa mission. La mienne c’est ça : bien que je sois super ghetto, avant tout je kiffe le rap et je vais aller me frotter à tous les styles. C’est quelque chose que j’avais mis de côté mais le fait d’avoir côtoyé de nouvelles personnes, notamment l’équipe en Suisse, ça m’a ramené à ça. Le rappeur français traditionnel va te dire « je fais du rap mais je m’en bats les couilles, faut remplir le frigo etc ». Moi je te le dis : j’aime le rap. J’aime rapper avant tout. Je vois le rap comme un amusement et je dois pouvoir rapper avec des gens très différents de mon univers. Je pense pouvoir ramener un truc avec ça.

D’ailleurs, quand je me suis assis sur les chiottes sur la pochette de mon album, j’ai ramené un truc. Avant que je vienne et que je parle d’alcool, peu de personnes à part Freko parlaient d’alcool. Même ceux qui en buvaient n’en parlaient pas. Je pense avoir amené un délire avec ça. En me voyant m’asseoir sur les chiottes ou parler d’alcool, indirectement des mecs se sont dits que ça leur donnait le droit d’aller sur ces terrains là. Les gens vont récupérer ça et ça fait avancer la musique.

Je pars du principe qu’un jour je vais quitter le rap, parce que je serai dépassé ou que j’en aurai marre, et le souvenir que je laisserai sera la façon dont j’aurai fait avancer cette musique. Zoxea a fait avancer le rap en amenant quelque chose d’inédit. Il s’arrêtera un jour et on regardera ce qu’il aura apporté. Moi, je veux amener mon délire caillera tous terrains.

A : Par rapport à l’état du rap français, qu’est ce que tu penses de toute la mouvance qui consiste à dire que le « le rap c’était mieux avant » ?

S : Sérieusement, je rêve d’étriper un mec avec un t-shirt « Le rap c’était mieux avant » [rires]. Ceux qui tiennent ce discours sont restés bloqués sur un certain rap et ne veulent écouter que ça. L’autre jour, j’étais dans le Bronx et je discutais avec un cainri. Le mec me disait qu’en France, on n’avait pas « notre rap ». Je lui ai dis « Ok mais qu’est ce que t’écoutes en rap cainri ? Lil Wayne ? Rick Ross ?« . Il me répond « Non. Je ne te dis pas que c’est de la merde mais, pour moi, le rap me renvoie à une certaine époque où j’étais à fond dans le rap. Forcément, je trouve que cette période était la meilleure. » Finalement, il ne s’agit pas de dire que le rap était mieux avant. C’est juste que, pour sa personne, ses meilleurs souvenirs liés au rap renvoient à une certaine époque. En France, un mec qui a grandi avec le premier album d’Ärsenik va avoir ce comportement là. Aujourd’hui, quand il va le réécouter, ça va lui rappeler des moments bien précis. C’est tout ce que te fait le rap : te procurer des sensations.

Pourquoi Jay-Z a cette longévité ? Ce qu’il fait aujourd’hui ressemble à ce qu’il fait avant, il a toujours cette voix… Même si ça évolue, des gens vont le suivre parce qu’il va les ramener à ce qu’ils ont kiffé. Finalement, quand tu adoptes cette posture là, tu deviens un vieux con. Exactement de la même manière que quand tes parents t’expliquaient que le rap n’était pas de la musique et que ça n’arrivait pas à la cheville de ce qu’ils écoutaient.

A : Je suis assez d’accord avec toi sur ce côté « vieux con du rap » qui devient vite agaçant. Mais si on regarde objectivement les sorties rap français, on a quand même le sentiment que les albums véritablement marquants se font plus rares…

S : C’était marquant parce que c’était le début ! Mêmes les albums qui sortaient en 98, c’était le début les mecs ! Le rap commençait à peine à rentrer dans les moeurs. Quand les premières Air Max sont sorties, c’était la folie. Aujourd’hui, ça n’est rien de plus que des Air Max quoi.

Même si ça peut faire mal, il faut bien se rentrer dans le crâne que c’était le début. Quand Rocca a sorti ‘Les jeunes de l’univers’, on était fous. On guettait le clip sur M6…Oui, ça a marqué les esprits parce que c’était nouveau.

Moi je ne suis pas nostalgique et je ne suis vraiment pas persuadé que le rap était mieux avant. Il faut aussi prendre en compte qu’il n’y a qu’une partie du rap qui est mise en avant mais qu’il y a beaucoup de choses. Je trouve qu’il y a d’autres mecs qui ne font pas du rap « rue » et qui ont le truc que certains pouvaient avoir avant. Seulement, ils ne sont pas médiatisés. Par exemple, je trouvais que l’album de Dabaaz était bon. Les gens qui disent que « le rap était mieux avant » n’écoutent qu’une partie du rap.

A : Par rapport à tous ces rappeurs français peu médiatisés, il y a toute une scène westcoast française avec des gens comme Aelpéacha, Driver, MSJ etc. Tu as souvent fait des références à la westcoast (Express D, Tupac..). C’est une scène que tu suis ?

S : Honnêtement, je les regarde de loin mais je les respecte parce qu’ils sont dans un délire, assez marginal ici, et qu’ils l’assument jusqu’au bout.

A : Par rapport au rap d’avant, quels sont les albums qui t’ont marqué ?

S : Le rappeur que je kiffe mais dont personne ne parle c’est Smoothe Da Hustler. Faut pas toucher à lui ! Sinon, j’ai pas mal saigné les albums de Jay-Z. Même si je pense que si Biggie était encore là, Jay-Z, tel qu’on le connaît aujourd’hui, n’existerait pas. C’est pour ça que je pense que c’est Jay-Z qui est derrière le meurtre de Biggie [Rires]. Tout ce qu’il raconte a été dit avant par Biggie.

A : D’ailleurs, il ne s’en cache pas. Il dit qu’il a voulu reprendre le flambeau laissé par Biggie, il lui rend parfois hommage en lui empruntant des rimes…

S : Ouais mais ça l’a rendu millionnaire quand même. Mais tout ça ne m’a pas empêché de l’avoir beaucoup écouté.

En France, j’ai écouté Zoxea, les albums des Sages Po, IAM à mort. Je trouve que ‘L’aimant’ est un des meilleurs morceaux sur la rue qui n’ait jamais été fait. Dessus, il te raconte vraiment la cité. Ces gens font partie de ceux que j’ai vraiment kiffé.

Il y a eu Ärsenik aussi. Lino c’est… [il marque une pause] Je ne comprends pas trop. Je ne comprends pas pourquoi il n’est pas là où il devrait être. Bon, ça ne m’empêche pas de dormir non plus mais c’est vrai qu’il a toujours été doué, qu’il a toujours une ou deux punchlines dans son sac, qu’il a toujours la hargne quand il rappe… Après, c’est peut-être l’entourage qui joue. C’est là où les cainris nous baisent. Ils sont entourés de gens qui ne cherchent pas à les descendre mais qui se disent « si ce gars monte, je vais monter aussi. » Ici, c’est plutôt « quel enculé, il est en train de prendre de l’argent. » Après, je ne sais pas quel est l’entourage de Lino mais si j’étais à côté de lui, je le pousserai. C’est un peu dommage et c’est aussi pour ça que le rap est dans l’état dans lequel il est. Là-bas, Jay-Z ne laisse pas le trône vacant. Si Dr. Dre s’arrête de sortir des prods, des mecs vont récupérer son truc et le faire à leur sauce. On a besoin d’anciens qui sont là, de jeunes qui arrivent, de mecs qui sortent des albums mais qui ne resteront pas… C’est un ensemble.

Personnellement, je suis de plus en plus seul quand je travaille. Je travaille souvent avec le producteur mais c’est tout. Chose que je ne faisais pas avant où je m’en foutais de savoir qui avait fait la prod. Je me suis rendu compte que les différents producteurs avec qui je travaillais avaient des choses à m’apporter. Je pense que le salut du rap en France passe par les beatmakers et par ce qu’ils vont ramener. Après, ce qui arrive parfois c’est que je vais kiffer comme un fou sur une prod. Un gars va rentrer et me dire « Mais c’est la prod de The Game ça ! » Comme je n’ai pas le temps de tout écouter, je ne me rends pas toujours compte que certaines prods sont de vrais copier/coller de ce qui s’est fait aux States.

A : Tu écoutes du rap français ?

S : Là encore, je suis un des premiers à avoir dit que je n’écoutais pas de rap français sur Planète Rap en 2001. C’était le cas, je n’en écoutais vraiment pas. Après, je me suis rendu compte que je critiquais vachement le rap français alors que je n’entendais à chaque fois qu’un ou deux morceaux d’un album. Depuis, j’ai pris le temps d’écouter des albums de rap français.

A : Parce qu’à un moment, on pouvait avoir l’impression que tu avais une sorte de faculté à absorber les styles des autres (Rohff, Booba par exemple) et à en ressortir quelque chose qui était complètement inédit. C’est pas du pompage mais plutôt des influences assumées…

S : Tu me prends pour Cell [NDLR : Personnage de Dragon Ball qui absorbait la force de ses ennemis] ou quoi ? [Rires] Honnêtement, je n’écoute pas à mort ces mecs là. Mais on est en France et on va me dire : celui qui répète des mots c’est Sefyu, celui qui rappe sur des prods westcoast c’est Rohff, celui qui prend des prods dirty c’est Booba… A partir du moment où tu vas poser sur une prod dirty, tu vas pomper Booba. J’ai fait ‘Rue et argent sale’ en même temps que Booba sortaient des morceaux dirty. Qu’est ce qui s’est passé ? Booba est un rappeur et a kiffé sur Rick Ross. Salif, qui est un autre rappeur, a kiffé sur Rick Ross et a voulu faire un morceau à la Rick Ross. Donc, avant de me parler de Booba, parle moi de Rick Ross ! C’est pareil avec Rohff. Rohff a kiffé Tupac. Salif a kiffé Tupac. Donc ces deux rappeurs ont fait des morceaux qui ressemblent à ce qu’a fait Tupac. C’est tout. Avant de me parler de Rohff, parle moi de Tupac. Tu vois ce que je veux dire ?

On m’a aussi reproché de m’inspirer de Sefyu sur ‘Ghetto youth’. Je rapprocherais plus son style de celui d’un Black Rob. Et j’ai kiffé Black Rob aussi. Donc, avant de me parler de Sefyu, parle moi de Black Rob.

A : Pour ‘Ghetto youth’, il y avait aussi l’esthétique du clip qui rappelait un peu Sefyu…

S : Putain, si je suis noir et que je ne peux plus mettre de casquette, c’est chaud ! [Rires] J’en ai vu plein des mecs qui baissent leurs casquettes comme ça : Jay-Z sur la pochette du Black Album, The Game… Donc, je n’ai plus le droit de baisser ma casquette parce qu’en France, Sefyu l’a fait ? Sefyu a un t-shirt, une casquette, des potes renois, babtous et balèzes avec lui. Qu’est ce que j’ai ? Un t-shirt, une casquette et les mêmes potes. C’est pas pour ça que je ne vais pas le faire.

Honnêtement, je ne bloque pas sur le rap français. Ceci dit, j’ai des potes qui kiffent à fond le rap français et qui vont en mettre quand on sera en voiture. Donc, ce serait mentir que de dire que je n’ai jamais entendu les mecs dont tu me parles. Mais sans plus.

Ce qui est sûr, c’est que j’ai réussi à faire ce que je voulais sur Curriculum vital. J’ai eu les grosses prods que je voulais avec pas mal de guitares électriques un peu partout parce que j’adore ça. Tout doucement, j’arrive à ma maturité artistique. Pour moi, Jay-Z l’a atteint avec The Blueprint. Il a vraiment montré à tout le monde ce qu’il aimait. Ensuite, il a tiré ça au maximum jusqu’à arriver sur des choses un peu plus rock. Sur la fin de sa carrière, Snoop Dogg revient aussi vers ses trucs de soul et de funk qu’on retrouvait sur ses premiers albums. Je pense que c’est comme ça que ça va se passer pour moi. J’ai des envies et des goûts musicaux particuliers. Honnêtement, j’adore ‘Hotel California’ des Eagles. Je kiffe ma race sur le solo de guitare à la fin. Je kiffe The Police. Toutes ces influences se retrouveront au fur et à mesure sur mes albums parce que je ne compte pas en faire qu’un ou deux. Musicalement, j’ai aussi envie d’aller vers autre chose. C’est ce que fait Jay-Z sur la fin de sa carrière.

A : Justement, tu as développé une imagerie assez inédite dans le rap avec le cuir, la batte de baseball et même le qualificatif de « Boulogne Boy »…

S : C’est vraiment mon délire. Je kiffe les skateurs et je trouve qu’il y a une vraie rébellion chez eux. Je crois qu’ils sont encore plus rebelles que les cailleras d’ailleurs. Chez les cailleras, tu as quand même un certain code.

Dans la rue, tu vas me voir me balader avec des t-shirts AC/DC. Parce que je kiffe, tout simplement. En plus, je trouve que, même avec le temps, ces mecs ont gardé le côté agressif des débuts même si c’est un peu plus léché.

A : Parmi, tes nombreux surnoms, tu t’es fait appeler Salif Wonka à un moment. T’as kiffé « Charlie et la chocolaterie » ?

S : Je kiffe le chocolat surtout. Bon, c’est pas exactement le même mais l’idée est là [Rires].

A : Tu as eu beaucoup d’alias au début. Il y a eu Cash, Baracash, Fon… Finalement, tu reviens toujours à Salif. C’est parce que tu ne te sens pas de parler aux gens derrière un pseudonyme ?

S : Mon défaut – ou ma qualité, je ne sais pas – est d’avoir pris mon prénom. Je ne me suis pas inventé de blaze parce que je voulais arriver dans le rap comme j’étais dans la vie. Du coup, ça me pousse à toujours garder la vérité en ligne de mire. Tu peux tricher derrière un pseudo, pas derrière ton prénom.

A : Sur l’Abcdr, on a organisé un vote des lecteurs visant à déterminer les 100 meilleurs morceaux de l’histoire. On ne connaît pas encore les résultats mais je me suis rendu compte qu »Elle est partie’ revenait souvent. C’est un morceau que tu pourrais encore faire aujourd’hui ? D’ailleurs, quand on écoute ‘Je t’aime moi non plus’, on se dit que tu as pas mal évolué sur ce sujet…

S : Justement, peut-être que j’ai fait ‘Je t’aime moi non plus’ parce qu »Elle est partie’ [Sourire].

Parallèlement à Curriculum vital, je suis aussi en train de réaliser un autre album avec Le Roumain. Je n’en parle pas trop mais ce sera quelque chose de beaucoup plus rock normalement. On est en train de tester des choses. Dessus, il y aura d’autres types de morceaux qui, dans le fond, se rapprocheront peut-être davantage d »Elle est partie’.

A : Pour toi, quelle différence tu vois entre un album et un street-CD ?

S : La couleur. Sur un street-CD, tu te défoules. On envoie les prods et c’est parti. Sur un projet comme ça, tu peux aussi tester des choses et rapper sur des prods plus inhabituelles. L’album c’est plus qu’une compilation de morceaux. Il faut qu’il y ait une cohérence.

A : Un projet comme « Boulogne Boy » justement, qui était super carré, tu n’aurais pas eu envie que ce soit un album ?

S : Boulogne Boy s’appelait « l’album avant l’album ». C’est là où tu verras que j’ai fait gaffe à ça et que je savais que c’était plus qu’une simple mixtape.

Je vais te dire un truc : je ne suis pas con. Contrairement à des rappeurs dont la gloire est de passer pour des cons, je te dis que je ne suis pas con. Je sais très bien ce que je suis en train de faire. Si je l’avais appelé « l’album avant l’album », c’est parce que j’estimais que des morceaux pouvaient être extraits d’un album. ‘Spéciale dédicace’ ou ‘Paquebot’ pouvaient aller dans mon album. Prolongations était un street-album pur parce qu’il faisait office de défouloir. Curriculum vital est mon album parce qu’il y aura des prods bien plus lourdes et qu’il va se passer d’autres choses dessus.

Après, on est aussi dans un système où les mecs ne calculent pas toujours tout et voient juste des projets. Ça arrive qu’on me dise « mortel l’album Prolongations. Ça peut être un peu dur aussi parce qu’on ne voit pas forcément la différence de taf entre les projets. De toute façon, aucun projet n’est à négliger. Ta carrière peut être boostée grâce à un street-CD. C’est juste qu’il faut toujours savoir ce que tu fais.

A : Sur l’outro de « Boulogne Boy », tu disais que ton premier album n’avait pas été compris. Comment tu expliques ça ? Tu penses que les gens ont trop gardé le côté second degré alors qu’il y avait des morceaux durs dessus ?

S : C’est ça. A cette époque, les gens avaient besoin d’un rappeur comme ça : un jeune un peu plus dur avec de l’humour et du recul sur les choses. C’était aussi l’époque de ‘J’pète les plombs’ et du Saian.

A : Le changement de ton titre de ton album est dû à quoi ?

S : Je me suis rendu compte que La fleur au fusil correspondait davantage à l’album que j’étais en train de faire avec le Roumain. Sur cet album, il y a aura vraiment cette opposision fleur/fusil qui, honnêtement, sera bien mieux traitée que dans mon premier album.

C’est un projet qui sortira seulement quand il sera vraiment abouti. Je n’ai pas envie de refaire les mêmes erreurs que dans le passé. Je n’ai plus envie d’avoir de réticences par rapport à mes albums, je veux pouvoir les réécouter avec plaisir. Concernant mon premier album, même Madizm sait qu’on a été à un endroit sans aller vraiment au bout. Parce qu’on manquait de moyens, de temps…

 

A : Tu réécoutes tes morceaux ?

S : Honnêtement, tant que les gens ne les ont pas écouté et ne m’ont pas parasité l’esprit avec tous leurs commentaires sur les morceaux, je les écoute. Curriculum vital, pour l’instant, je l’écoute ouais. Quand ça sort, je ne les écoute plus généralement. J’ai seulement réécouté Prolongations avant de me mettre à mon album uniquement pour comprendre l’effet que ça a eu. Quand tu enchaînes les morceaux, tu n’as pas de recul. Là je me suis demandé ce qu’ils avaient tous avec Prolongations. A Toulon, on me parlait de ce street-CD comme d’un truc de fou… C’est vraiment un projet qui m’a dépassé. La mayonnaise a beaucoup plus pris avec Prolongations qu’avec Boulogne Boy. Je me suis donc demandé ce qu’il avait en plus ? Je pense que c’était la spontanéité.

A : La scène, c’est quelque chose que tu apprécies ? Il y a une tournée de prévue pour l’album ?

S : Sincèrement, je n’ai pas encore complètement kiffé la scène parce que je n’ai pas eu l’occasion d’en faire comme je le veux vraiment. C’est à dire avec des guitares, avec quelque chose en plus… Pas uniquement sur la scène d’un quartier à enchaîner les morceaux. Même si c’est des bons moments et que les gens commencent à bien connaître les morceaux.

Mais je n’ai pas été sur scène comme je me représente la chose. J’aimerais que les gens se disent « j’ai été voir un concert de rap, ça tue sa mère !« . J’aimerais pouvoir jouer mes morceaux sans devoir m’arrêter sur la bande à chaque fois par exemple. Je veux dépasser ça.

A : A un moment donné, il était prévu que tu fasses la première partie du retour de NTM. Pourquoi ça ne s’est pas fait ?

S : Trop d’embrouilles, trop de prises de tête. J’avais des choses à régler dans ma vie à ce moment là.

Et puis regarde : ils avaient mis ma tête pour Urban Peace 1 sans rien me demander. Je n’y suis pas allé. Je devais faire la B.O de La tour Montparnasse Infernale. Je ne l’ai pas fait parce qu’ils voulaient que je rappe avec Kool Shen à la place d’EXS… Je suis mon destin. Si j’ai l’impression que quelque chose ne sent pas bon, je ne vais pas le faire.

« Mon défaut – ou ma qualité, je ne sais pas – est d’avoir pris mon prénom. Je ne me suis pas inventé de blaze parce que je voulais arriver dans le rap comme j’étais dans la vie. »

A : Par rapport à Nysay, est-ce que ça n’est pas compliqué de se retrouver dans une situation où on ne parle quasiment que de toi ? C’est un peu comme dans Arsenik où Lino était surexposé par rapport à Calbo.

S : [Il marque une pause] Avant, mon collègue était plus fort que moi. Il me mettait une raclée sur chaque morceau. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a poussé à bosser autant. Comme j’ai senti que j’avais un truc à un moment, j’ai vraiment décidé d’enchaîner les projets. Mon collègue est davantage dans une posture où seul le groupe va l’intéresser. S’il fait moins de featurings que moi, c’est parce que lui en refuse beaucoup. Il n’est pas autant à fond dans le rap que moi, c’est tout. Mais il me pousse beaucoup.

A : On a le sentiment qu’il y a des moments où tu aurais pu aller vers le succès (‘Eeny Meeni Miny Mo’, ‘Paris Cuba’ en 2006). Pourtant, tu ne t’es pas engouffré là-dedans alors que tu disais ne plus rapper par passion mais pour sortir ta mère de la merde…

S : J’ai envie de sortir ma mère de la merde mais pas à n’importe quel prix. Si je vais lui donner de l’argent gagné en ayant vendu vingt kilos de shit, elle ne le prendra pas. De la même manière, si elle a l’impression que je fais quelque chose qui ne me ressemble pas, elle ne prendra pas l’argent.

A : Ta mère écoute ce que tu fais ?

S : Je pense qu’elle écoute. Récemment, elle m’a fait une remarque en m’encourageant à « donner autre chose » aux gens… C’est comme à l’école où on me disait que j’étais capable de faire beaucoup plus mais ça ne m’intéressait pas. Il n’y a pas longtemps, je me suis même rendu compte de ce qui a fait ce que je suis devenu. En fait, mon père m’avait forcé à lire le livre Black Boy de Richard Wright. Tellement ça m’a saoulé de le lire, je crois, qu’avec le recul, je me suis totalement identifié à ce personnage. Ça a influé sur le fait que, très tôt, j’ai décidé de mener une vie qui serait différente de celle des autres. Comme pour le personnage du livre, j’ai toujours respecté les gens sans jamais me laisser marcher dessus, j’allais tout le temps me taper tout en essayant d’étudier par moi-même… J’ai l’impression que c’est ce que je suis dans la musique : faut pas se la raconter avec moi sinon je te marbre mais, à côté de ça, je suis un passionné de musique, j’essaye plein de morceaux… J’ai construit ma vie comme ça. C’est la somme de toutes ces choses qui me pousse à continuer.

A : Tu as un côté très sincère dans ton rap. Parallèlement, tu restes assez évasif sur tes origines. C’est parce que tu es rattrapé par la réalité d’ici et que tu te sens avant tout français ?

S : C’est juste que je n’ai pas envie d’être démago en te disant « ouais, on va faire de l’argent et on va rentrer au bled« . Qu’est ce que font ceux qui disent ça ? Ils vont au bled et flambent avec l’argent qu’ils ont fait ici. Qu’est ce qu’il y a de mortel là-dedans ?

J’ai des discussions avec des potes parfois qui me disent qu’ils vont aller claquer leur argent au bled. Ça consiste à prendre son argent et à dire aux gens de là-bas « regardez-moi, je suis un pacha ». Une fois que tu as fait ça, tu rentres en France. Il y a des beaux discours mais, concrètement, il n’y a rien qui est fait pour l’Afrique. Tu y vas pour faire quelque chose pour les Africains ou pour flamber ?

D’un point de vue plus personnel, je ne suis jamais allé en Afrique. A côté de ça, je suis guadeloupéen et j’y ai plus été via les congés bonifiés. Je suis un peu un mélange de tout ça mais je n’ai pas envie d’être démago en appliquant tous les codes du rappeur français type : l’Afrique c’est génial one love, tout ce qu’il y a de plus pourri dans la cité c’est mortel… Je ne suis pas là-dedans.

A : Dans les interviews, tu as souvent critiqué tout ce qui se rapprochait d’un « rap de pleurnicheuse ». En même temps, on t’as déjà vu rapper avec des membres de Sniper ou des Psy4 qui peuvent rentrer dans cette case. C’est pas un peu contradictoire ?

S : Je te dirai que Sniper est à l’origine de ce rap là. Donc, je vais voir l’original ! On a fait un morceau, pas douze. Il n’y a pas de problèmes.

Quant à Alonzo, je trouve que c’est le côté dur du groupe. Je ne l’ai jamais vu pleurer au micro. Moi, quand je rappe, je suis davantage dans la nostalgie, pas le pleurnichage. Ça ne correspondrait pas à mon côté combattif.

A : Ça fait plus de dix ans que tu rappes. Tu te considères comme un ancien ?

S : Pour moi, j’ai deux carrières. Il y a ma première carrière qui a pris fin avec l’arrêt de IV my people. Ensuite, il y a ma deuxième carrière qui a commencé avec ‘Caillera a la muerte’. Pour moi, je suis tout neuf et je rencontre des gens qui m’ont découvert avec Boulogne Boy.

D’ailleurs, ces deux carrières ont été différentes sur plusieurs points : dans le style, dans la manière de faire les choses… Aujourd’hui, je fais ce que je veux faire.

A : Je sais que tu as une position assez ouverte sur le téléchargement. En même temps, les vidéos que tu mets sur Internet atteignent près de 50 000 vues en une semaine. Si toutes ces personnes achetaient l’album, tu serais disque d’or. Tu n’es pas un peu amer par rapport à ça ? D’autant que tu as connu la période plus faste du rap français…

S : Déjà, quand je te dis que je ne suis pas con c’est que je ne suis pas con. Je pense que je fais autant d’argent que les mecs qui vendent 100 000 disques. Parfois, j’entends parler des gens et je suis étonné du peu d’argent qu’ils ont pris. Il y a la musique et il y a d’autres choses à côté. Je ne parle même pas de choses illicites. Je place mes billes un peu partout et je ne pense pas être à plaindre.

Ensuite, je pars du principe que tout est écrit et que tu auras ce que tu dois avoir. Tu peux voler, danser, tuer des gens… Tu auras ce que tu dois avoir. Je me suis toujours dit ça depuis que je suis petit. Si tu es prédestiné à avoir un million d’euro dans ta vie, tu les auras. Sous différentes formes peut-être mais tu les auras. Je suis sûr et certain de ça. Si tu gagnes au loto c’est que cette somme devait venir.

Par rapport au rap, après tout ce qu’on dit dans nos morceaux, je ne peux pas dire à quelqu’un de ne pas télécharger mon son. Tu te rends compte ? On parle de bicrave et de tirer sur des gens et ensuite je vais dire aux gens de ne pas télécharger ? Et encore, je suis un enfant de chœur quand j’en écoute certains. C’est là où la crédibilité s’arrête. D’ailleurs, ça fait longtemps que je ne parle plus de street-crédibilité mais de street-légitimité. C’est à dire que tu as un parcours qui te permet de dire certaines choses. La crédibilité c’est quoi ? Marcher avec un fusil à pompes sous l’imperméable et faire flipper tout le monde ? C’est une appréciation par rapport à l’image qu’un mec va te donner mais, avec un clip, tu peux faire croire ce que tu veux. Personne n’est réellement crédible. Par contre, parfois je me dis que certains mecs ont une légitimité à dire certaines choses via leurs parcours.

Pour revenir au téléchargement, qu’est ce que je vais y changer ? Si je crie qu’il ne faut pas télécharger mon album, les gens vont m’écouter ? En revanche, je pense que quand le public se retrouve face à quelqu’un qui ne se fout pas de leur gueule et qui a déjà sorti des projets solides, ils iront plus facilement acheter ses albums.

A : Ton album devait sortir plus tôt. Qu’est ce qui s’est passé avec AZ ?

S : Je fais ce que je veux chez AZ. C’est là où je te dis que je ne suis pas con. Des fois, on me dit « ouais, l’autre là, il a signé en major ! ». Ah ouais ? Je suis signé depuis trois ans moi… J’ai signé en 2006 et j’ai attendu 2009 pour sortir mon album. Entre temps, j’ai sorti mes projets tranquillement. Comme tout le monde, j’avais entendu plein de choses sur les majors. Maintenant, tu regardes mon contrat et tu verras qu’il est clairement spécifié que « Salif a le droit de sortir des street-albums », « Salif a le droit de sortir des albums avec son groupe Nysay », « Salif a le droit de faire son merchandising », « Salif produira entièrement son album et AZ rachètera les bandes de son album »… Tu es tranquille quand tu mets ça dans ton contrat. Ce qui peut paraître encore plus étonnant c’est que je suis face à des personnes qui sont d’accord avec ça. Ils ont tellement compris que ça servait à rien de négocier que personne ne m’a rien dit.
Je ne peux pas dire à quelqu’un de ne pas télécharger mon son. On parle de bicrave, de tirer sur des gens et ensuite je vais dire aux gens de ne pas télécharger ?

« Je ne peux pas dire à quelqu’un de ne pas télécharger mon son. On parle de bicrave, de tirer sur des gens et ensuite je vais dire aux gens de ne pas télécharger ? »

A : Chez AZ, tu es tombé sur des gens qui aiment le rap ou on rentre dans le cliché du D.A qui ne connait pas ta musique ?

S : Ça dépend. Ça dépend aussi de la manière dont tu te présentes. Si tu vas faire la mendicité chez la maison de disques, tu vas te faire avoir. Et il y en a qui font la mendicité. « Tu veux que je change un morceau ? Pas de problème. Laurent Bouneau n’aime pas ? Je retourne en studio. » Si je me retrouve face à un mec comme ça, bien sûr que je vais en profiter ! Je vais lui dire de fermer sa gueule et je vais choisir ses singles à sa place. C’est normal. Si tu te retrouves face à un mec signé depuis trois ans, qui sait ce qu’il fait, qui paye lui-même son studio, qui produit lui-même ses clips, qui a une démarche intéressante… C’est différent. Je leur ai dit que je voulais faire des vidéos sur Internet avant l’album. « Mais pourquoi tu veux faire des vidéos ? ». « Laisse moi tranquille, je te dis qu’on va faire des vidéos ». Au final, ils ont trouvé l’idée très bonne.

Tu vas respecter un mec s’il est respectable. C’est tout. Même si demain AZ me rend mon contrat, ça ne m’arrêtera pas. Alors que certains ont joué leurs carrière là-dessus ! Si tu comptes sur eux pour tout faire, t’es mort. A l’heure actuelle, Laurent Bouneau n’a toujours pas écouté mon album alors qu’il sort dans deux semaines. Il l’écoutera quand il l’écoutera et il fera ce qu’il aura à faire. Je pars du principe que ma première semaine est déjà jouée. Je ne sais pas combien je vais vendre la première semaine mais c’est déjà écrit. Le mec qui a décidé d’acheter l’album de Salif ne va pas se décider dans les quinze derniers jours. Il sait déjà s’il va l’acheter ou pas. C’est comme les mecs qui font trois clips avant l’album et qui s’arrêtent une fois que l’album est sorti. Je préfère faire ça à l’ancienne. On va envoyer un clip pour la sortie, puis un deuxième, un troisième etc. Il faut aussi trouver des manières de faire vivre ta musique.

Sérieusement, s’il me laisse contrôler tous ces petits cons, je peux vous ramener le rap au top ! [Rires] D’ailleurs, quand je suis en studio avec des mecs, je ne fais pas que rapper. Je parle, on discute, je peux donner des conseils. Je ne te dis pas que j’ai la science infuse mais je pense que certains sont faits pour suivre et d’autres pour amener de délires. Je suis fait pour amener des délires.

A : Faut que tu montes un label alors.

S : Je ne monterai pas de label de rap. Si je monte un label, et je suis en train de voir ce que je peux faire, ce sera beaucoup plus large. J’aime la musique. J’ai déjà essayé de faire quelque chose avec Fofo et James [NDLR : Rappeurs dans l’entourage de Salif] mais ils ont tous les deux plus ou moins arrêté le rap. Du coup, je n’ai pas la force d’aller produire un mec.

Mais ne vous inquiétez pas. Ça prendra peut-être plus de temps que les autres mais ce sera plus solide. J’en ai vu plusieurs monter en flèche puis redescendre… Quand je regarde ma carrière, je suis assez satisfait. A un moment donné, j’étais au Guantanamo du rap. J’étais cuit, terminé. A plusieurs reprises, j’ai envisagé d’arrêter définitivement le rap parce que je ne dirigeais pas mon affaire. C’est comme si tu es dans une voiture et qu’on t’oblige à rouler à 200 km/h. T’as pas envie ! Quand tu as ta propre voiture, tu sais comment tu aimes conduire. [Il marque une pause]

J’entends plein de choses sur mon compte mais, honnêtement, je préfère ça qu’avoir un statut à la Nessbeal. C’est à dire que tout le monde dise « oh le pauvre, il rappe bien mais on n’achète pas ses disques« . Tout le monde l’a dans sa bouche celle-là. Pour moi, quand on dit ça de toi, t’es cuit. J’aime qu’on dise « mais pour qui il se prend Salif ?« . Ouais, j’arrive et je vais ramener mon truc, peu importe ce qu’on dira sur moi. Parce que quand on t’aimes trop, au fond on ne t’aimes pas vraiment. « Ouais c’est bien », et après ? Je connais plein de rappeurs dans cette situation. « Flynt ? Ouais, c’est bien. Rocé ? Ouais, c’est bien. » Je dis ça avec tout le respect que j’ai pour ces artistes là ! Je ne suis pas du tout en train de les descendre. C’est juste que tout le monde semblait d’accord pour dire que Flynt déchirait. Ok mais il est où ton CD de Flynt ? T’as été à son concert ? Tu dors en pensant à Flynt ? Tu me dis ça mais tu écoutes Booba ! Où est la logique ? Si c’est pour dire ça et avoir Booba et Rohff dans son Ipod, c’est bizarre quand même.

Moi, je crée la discussion. A l’image des Jim Jones et des Dipset en général d’ailleurs. Au départ, on les regardait comme des fous ! « Ils se prennent pour qui ? Ouais, ils parlent de crack… » Ils ont créé quelque chose. Tout doucement, je ramène mon truc.

A : A un moment, on avait parlé d’un morceau en collaboration avec Ali. Qu’est ce qui s’est passé ?

S : Ça devait se faire et puis on ne s’est pas capté. En tout cas, Ali est un vrai grand bonhomme du rap. Quand Booba était en taule, on traînait beaucoup avec lui, on allait chercher EXS au bahut, on rencontrait sa famille… Si on le voit plus trop maintenant c’est parce que je pense qu’à un moment donné il a connu une vraie déception. C’est le problème quand tu es enfermé dans un truc et que tu attends des choses qui n’arrivent pas… Il a eu son dégout du rap comme je l’ai eu à une époque. Après, il faut pouvoir ne pas s’arrêter à ça et rebondir. Si je m’étais arrêté à des commentaires que j’ai pu lire, j’aurais arrêté le rap depuis longtemps.

A : Justement, tu regardes ce qui est dit sur ton compte sur les forums ?

S : Ouais. Environ une fois tous les deux mois, je fais mon grand tour. Histoire de me dire « qu’est ce que j’ai foutu comme merde ces temps-ci ? ». Je vais faire un tour et je trouve ça marrant ce que tu peux voir. Il y a aussi bien le vulgaire commentaire du petit qui passe et me traite de fils de pute et de mytho que le mec qui a pris son temps et fait des grandes phrases : « oui je pense que Salif est en totale régression parce que depuis cinq ans… » [Rires] Les mecs se prennent la tête des fois. Mais au milieu de ça, ça va être rempli de fautes d’orthographe… Je n’ai fait qu’une année de BEP à l’école donc je ne suis pas allé loin mais quand je vois la manière d’écrire de certains gars qui me critiquent, c’est chaud.

Il y a de tout sur les forums et tous les rappeurs vont y faire un tour. D’ailleurs, des fois tu vois des choses marrantes. Un mec va écrire « que penses-tu du nouveau Youssoupha ? Je pense que c’est le meilleur morceau qu’il n’a jamais fait, j’ai l’impression qu’il rappe mieux que les autres et que c’est un vrai lyriciste, non ? » [Rires] Tu vois ce que je veux dire ? T’as l’impression que certains ont des équipes qui postent un peu partout. C’est marrant, chacun essaye de faire sa promo. Enfin, la meilleure des promos restera ton son. Il faut qu’il y ait des gens qui t’aiment et d’autres qui te détestent. Sinon, tu n’es pas en train d’amener quelque chose.

A : C’est rare qu’un rappeur mette autant la main à la patte sur Internet. En mettant des vidéos régulièrement, on a l’impression que tu as compris que c’était une chose à faire aujourd’hui…

S : Non, j’ai compris que c’était une manière d’être en contact avec mon public. C’est bien plus fort qu’une simple affiche sur un mur. J’ai vraiment décidé de jouer la transparence. Parfois, il y a vraiment trop de zones d’ombre et tu ne sais pas qui te parle au micro. Qui es-tu ? Une caillera ? Un mec de la fac ? T’as fait quoi ? Raconte-moi ta vie ! Souvent, ils ne peuvent pas le faire parce qu’ils n’ont rien à raconter. Sortis de leur rap, ils n’ont rien vécu.

Je ne suis pas en train de te dire que j’ai un grand vécu. J’ai un vécu de caillera basique. J’entends les gens parler de gangsters. Frère, vendre du bédo c’est être un épicier pour moi ! J’ai grandi là-dedans et ce n’est pas du gangstérisme. Si j’avais touché au crack, à la came, ça aurait été différent. Mais quand tu vends du bédo, tu ne m’enlèveras pas l’idée que tu n’es rien d’autre que le « Carrefour » de la cité. Ensuite, on me dit que j’ai transporté des substances illicites. Oui, forcément, si j’ai vendu du bédo, j’ai dû le transporter. Il n’est pas tombé du ciel. Pour moi, c’est pas un truc de fou ça, c’est normal. Donc, quand tu commences à rentrer dans ce business, tu peux être amené à te protéger. Oui, j’ai eu des armes même si je n’ai jamais eu à m’en servir. Et j’espère que je n’aurai jamais à m’en servir. Honnêtement, si un mec te raconte tout ce que je dis et n’a jamais vu d’armes, il peut aller se coucher. J’ai pas grandi dans le Bronx mais à Boulogne Pont de Sèvres. Mais c’est une cité comme toutes les autres. La seule chose qui va différer c’est que plus tu es loin, plus il y a de keufs. Il y a énormément de keufs à Boulogne donc tu ne vas pas avoir deux squads au milieu de la cité. Mais ça ce sont des détails. Ça reste une cité et, comme dans toute cité, ça bicrave, il y a des armes… Normal.

C’est ce que j’appelle la transparence. Si tu ne racontes rien, tu laisses planer le doute alors que tu n’as rien à dire.

A : Par rapport à l’alcool, on a l’impression que tu es plus à l’aise aujourd’hui pour en parler (voir le bruit de canette au début de ‘J’hésite’). Est-ce que c’est le fait de faire ton vrai deuxième album qui te permet de plus rentrer dans le fond des choses ?

S : Certains vont te dire que le rap n’est pas leur thérapie. En ce qui me concerne, dès que je vais parler de quelque chose au micro, je vais pouvoir le zapper ensuite. J’ai parlé de l’alcool et, après l’album, j’ai arrêté de tiser. Quand tu écoutes par la suite, tu prends un certain recul. J’espère qu’après cet album, je pourrai mettre un frein à toutes mes activités parallèles. Et puis honnêtement c’est quelque chose de fatiguant. Tu ne dors pas bien, les gens te prennent la tête, l’autre ne paye pas et croit que t’es blindé parce que tu fais du rap… J’espère que cet album me permettra de bien mettre la rue de côté. Elle sera toujours présente dans mes textes parce que j’en sors mais j’aimerais être beaucoup plus narrateur qu’acteur. En prenant de l’âge, tu évolues aussi.

A : Aujourd’hui, tu vis du rap ?

S : On va dire que je me suis plus ou moins bien débrouillé. Comme je t’ai dit, je ne suis pas con [Rires]. Honnêtement, je n’ai pas pris deux sous pour mes street-albums. Si tu sais compter, c’est simple. Avec Wagram, on a mis 22 000 en place et je suis producteur. Pour Prolongations, on a mis environ 12 000 en place. Ça va.

A : Tu n’as jamais eu envie d’être complètement en indé comme peuvent l’être Néochrome ou L.I.M qui ont réussi à faire leur trou ?

S : On parle beaucoup d’indé mais pour moi ça reste flou. Je ne suis pas convaincu qu’ils fassent autant d’argent que ce qu’il disent. C’est plus compliqué qu’il n’y parait, il y a des abattements, des provisions sur retour… Je ne penche pas forcément pour l’indé mais, à un moment, je vais essayer de construire quelque chose de vraiment fort. C’est vraiment mon projet.

Sinon, je trouve que c’est un bon compromis de sortir tes albums en major et de faire des streets-CD à côté qui se vendent à 12 000/15 000 exemplaires. Si, en plus de ça, tu utilises bien ton argent, tu n’es pas perdant. Et puis sur mon premier album, je n’ai pas pris deux francs non plus, j’ai pas claqué mon argent n’importe comment… Ça va. Tu sais, aujourd’hui tu peux me voir en Opel Corsa, demain en GSXR et le surlendemain en A3. Je suis le jongleur. Il y a des choses à faire. Faut pas être con quoi. Le problème du rap, c’est que beaucoup de gens sont fondamentalement cons et n’arrivent pas à avancer. Donne-moi ton argent et je te le fais fructifier. Je suis le vrai Madoff [Rires].

A : Quel a été l’impact de la tise sur ton écriture à l’époque ? Parce que depuis, on a le sentiment que tu t’es davantage lâché, que tu as fait plus de freestyles…

S : Il y a un morceau dans l’album qui s’appelle ‘Blow’ et que je ne voulais pas mettre au début. L’ingé avec qui je bossais, Jérémy, m’a dit « mais t’es fou, il faut le mettre ce morceau ! ». Bon, il m’a fait ça avec plein d’autres titres [Rires]. C’est un album qui parle beaucoup de rue et ce morceau est là aussi pour rappeler que je rappe et que je peux me défouler. Il ne faut pas s’enfermer dans un délire non plus. Quand les gens ont toujours l’impression que tu rappes et que tu te fais plaisir, tu n’as pas perdu.

Regarde Snoop. Quand tu écoutes ce qu’il fait aujourd’hui, tu vois qu’il est revenu à ses premières amours, genre ‘Murder was the case’. Je pense que je ferai la même chose. A terme, ça va se finir en rock’n’roll tout ça [Rires]. Il y aura des solos de guitare partout ! Donnez-moi huit piges, tranquillement.

A : Si Fon revenait et écoutait le Salif d’aujourd’hui, qu’est-ce qu’il dirait ?

S : C’est un des morceaux que j’ai fait sur l’album avec le Roumain.

A : Je trouve que lors de certaines collaborations, tu joues beaucoup plus avec ta voix que tu ne le fais sur tes propres morceaux…

S : Parce que je m’amuse ! Quand Zidane va jouer au ballon avec ses potes, il ne joue pas de la même manière que quand il est en match officiel. Je pense aussi que, de temps en temps, j’essaye de m’amuser sur mes projets personnels. C’est pour ça aussi que je fais beaucoup de featurings. D’une certaine manière, tu es trop concentré quand tu travailles sur ton album et tu as tendance à oublier le côté amusement. Si j’ai arrêté d’écrire, c’est pour éviter de rentrer dans certains automatismes.

En même temps, il y a des gens qui détestent ce que je fais quand je ne suis pas tout seul. En tout cas, quand je fais un feat, j’y vais les mains dans les poches pour m’amuser. Par exemple, j’étais content de faire le morceau avec Dabaaz parce que je n’avais jamais rappé sur une prod comme ça. Ensuite, si on ressent moins le côté amusement sur mes projets, c’est aussi parce que tu joues ta vie sur chaque disque que tu sors en France.

A : Même pour tes street-albums, tu as fait des clips de qualité à l’inspiration assez cinématographique. Quelles sont tes influences à ce niveau ?

S : Je suis un fou, je regarde toujours les mêmes trucs. Par exemple, un film comme Blow, par rapport aussi à mon histoire personnelle, m’inspire beaucoup. Les Affranchis aussi. En ce moment, je suis à fond dans Heat. C’est à dire que je vais regarder Heat tous les jours pendant deux semaines [Rires]. Ou ça va être Orange Mécanique pendant un mois. Je me retourne vraiment le crâne avec ces films. Aussi parce que ça me rappelle des époques et certaines ambiances.

Niveau séries, j’ai moins le temps. The Wire, par exemple, le fait que tout le monde kiffe me rebute. Pareil pour The Dark Knight. Quand tout le monde me parle de quelque chose, je vais avoir des réticences. Un moment, tout le monde me parlait de Prison Break. Allez-vous faire enculer, je regardais Oz moi [Rires] ! Quand j’ai regardé Prison Break, je me suis demandé quelle était cette merde. L’autre avec son tatouage là… Je regardais Oz cinq ans avant.

En général, j’aime pas quand tout le monde est unanime sur quelque chose comme ça. J’aurai l’impression de devenir un suiveur. Sinon, ça fait longtemps que je ne me suis pas posé devant ma télé. Je n’ai pas le temps mais j’aime bien aller acheter mes DVD’s et les regarder à l’occasion.

A: Est-ce qu’il y a des albums que tu attends en tant qu’auditeur ?

S : Pas vraiment, non. Par exemple, j’adore Eminem mais je n’ai toujours pas écouté son dernier album. Pourtant je trouve que ce petit enculé est vraiment fort. Honnêtement, après Encore qui m’avait vraiment déçu, les premiers extraits ne m’ont pas donné envie. J’ai l’impression qu’il suit la même recette que d’habitude mais que les morceaux sont moins bons. Je préfère rester sur une bonne note. C’est pareil pour le dernier Jay-Z que je n’ai pas encore écouté.

J’ai aussi un problème c’est que je ne peux plus écouter de rap cainri. Dès que j’en écoute, j’ai envie de faire comme eux. C’est ce qui s’est passé sur mon premier album avec ‘Ghetto cailles’ par exemple qui est très inspiré de ce que faisait DMX. « Je veux du DMX, je veux du Busta Rhymes, je veux du Jay-Z« . Le con quoi. Même si je pense que c’était plus ou moins bien fait, c’était pas une bonne manière de concevoir un album. Le plus dur c’est de kiffer quelque chose chez un autre mais de réussir à dire « ça, c’est son truc à lui ». Madizm, je l’ai vraiment fait chié avec ça. « Je veux les synthés comme ça », il a du prendre son expandeur spécial… Ça l’a saoulé. C’est le problème des rappeurs français. Au lieu de dire que ça tue et de se contenter de l’écouter, ça va essayer de copier.

C’est ce qui a fait que j’ai écouté beaucoup moins de rap cainri. A un moment, j’étais bousillé de ça et je voulais avoir la dernière prod qui sortait là-bas. On n’est pas à cette vitesse là en France. Il faut déjà que les mecs comprennent bien les samples de soul, pourquoi on fait ça, d’où ça vient… Après, tu pourras peut-être passer dans deux ans au dirty.

A : L’autotune, c’est pas du tout ton truc ?

S : On m’a mis de l’autotune sur mon morceau pour Street Lourd 2 alors que ça n’était pas prévu. Ils ont mixé et masterisé le morceau et ont mis l’autotune ensuite. Après, ça n’était pas dégueulasse.

J’ai rien contre l’autotune mais il faut que ça soit bien fait. T-Pain tue ça à chaque fois ! Je ne sais plus si c’est K-Ci ou Jojo qui a posé avec Ace Hood mais là encore ça déchirait. Eux, quand ils font de l’autotune, ils ne chantent pas qu’une seule fois. Il y a du travail et ça donne un truc mortel au final. En théorie, l’autotune n’est pas juste un effet que tu vas rajouter comme ça. Chez nous, ça se résume à un petit filet de voix que tu vas faire en mettant de l’autotune. J’ai jamais entendu un français qui sonnait comme T-Pain. Je trouve que le seul mec qui l’a bien utilisé c’est Jango Jack sur le projet de Kossity. Ils ont essayé de faire un morceau à la T-Pain et, franchement, ils ont réussi. Le morceau s’appelle ‘Le sommet’. D’ailleurs, Kossity est en train de préparer un projet super cainri avec, normalement, de très gros invités. Il est à fond dedans et je pense que lui peut le faire.

En voyant à quel point je n’aimais pas Kanye West, j’ai compris pourquoi des gens n’aimaient pas Salif.

A : Est-ce qu’il y aura des featurings sur ton album ?

S : Pas de rappeurs. Il n’y a que des chanteuses. Il y a aussi un morceau avec Trade Union. Pourquoi Trade Union ? Parce qu’ils chantent très bien, tout simplement. En France, c’est compliqué quand tu fais du rap et que tu cherches des chanteurs. Après, quand je dis que j’ai fait un morceau avec Trade Union, on vient me dire que Booba l’a fait avant. Alors, il faudrait que je prenne un mec qui chante mal ?

A : En plus, je crois que l’Skadrille avait déjà fait un morceau avec eux avant Booba…

S : Ouais mais c’est pas grave, c’est Booba qui l’a fait en premier [Rires]. Avant Booba, Trade Union n’existait pas, c’est comme ça dans la tête des gens. Aux States, Akon va chanter avec douze mecs et ça ne posera pas de soucis.

En tout cas, je les ai appelés parce qu’ils chantent super bien. C’est les premiers mecs qui viennent chanter en studio et dont je n’ai strictement rien à redire. Je regarde et je dis que c’est lourd. D’habitude, quand tu demande aux chanteurs quelque chose, ils te répondent que ça n’est pas leur gamme. OK, et ça tu peux le faire ? Non, ce n’est pas ma gamme. En fait, tu te rends compte qu’ils ne peuvent chanter que d’une seule manière. Avec Trade Union, je me suis rendu compte que leurs histoires de gammes étaient des conneries.

 A : Au niveau des morceaux avec chanteuses, tu avais fait ’92 FM’. D’ailleurs c’est un morceau où tu parles des radios et, avant chaque refrain, tu insultes la chanteuse…

S : Au micro, j’essaye d’être moi. Je suis là, je suis pas con, j’ai du second degré mais je ne suis pas Coluche non plus, je peux rigoler, m’énerver… C’est ça mon délire. Je suis très content de faire un morceau qui peut passer en radio et de mettre ‘sale pute’ dedans. C’est le cas sur ‘J’hésite’. J’avais envie de dire ‘sale pute’ et ‘pétasse’. Si ça ne passe pas c’est pas grave.

A : Si un député tombait là-dessus et voudrait essayer d’interdire l’album, quelle serait ta réaction ?

S : Ça m’était arrivé avec Grosdidier qui avait mentionné Nysay. Ça m’a fait rigoler. C’est ça être hardcore pour moi. Il faut réussir à déclencher quelque chose. D’ailleurs, quand on avait parlé de Nysay au moment de la polémique, c’était n’importe quoi. Ils avaient pris des bouts de mon texte et les avaient collés à ceux d’EXS… Aznavour nous avait défendu.

Ça n’est jamais gratuit quand je te parle de quelque chose. Il y a toujours un fond de conscience. Même si je ne te dis pas « Petit frère, fais attention, ne fais pas ça« , je ne suis pas en train de glorifier la vente de drogues. Ça existe mais ça veut pas dire que c’est bien. Je ne fais pas du rap conscient mais du rap avec du recul. Mon rap c’est un mec cagoulé en train de braquer qui a conscience que ce qu’il fait n’est pas bien. Je pense que c’est le meilleur des raps. C’était ça quand j’écoutais Express D. Ils te disaient que c’était pas bon mais ils étaient dedans. C’était ça le vrai rap dur. Même chez Express D, ça rigolait. Il y avait ‘Six pieds sous terre’ etc. C’est l’esprit caillera. Quand tu regardes un film mafieux, Joe Pesci met une balle à un mec et va te raconter une blague après. C’est la vraie vie ! Aujourd’hui, le rap est une représentation de l’imaginaire dans le rap. « Comment ça vit une caillera ? ». Alors que dans le quartier, on rigole tout le temps. Ça ne va pas t’empêcher d’aller marbrer un mec. Mais les rappeurs français ne rigolent pas, ne parlent pas de meufs parce qu’ils n’en baisent pas à croire qu’ils sont tous homosexuels… C’est ce qui fait que plein de gens ne peuvent pas s’intéresser à notre musique. Elle est trop fermée.

A : Est-ce que le fait d’être allé un peu à l’école Sages Poètes t’a poussé à mettre autant d’assonances et de techniques dans tes couplets ?

S : Je ne conçois pas le rap autrement. Quand je ne met pas d’assonances, c’est vraiment dur pour moi. Faire rimer « bateau » et « lavabo », ça va me faire mal au cœur. Je viens d’une école où il faut qu’il y ait au moins trois syllabes. Je trouve qu’en plus, j’arrive aujourd’hui à enchaîner les assonances sans que ça empiète sur le sens.

Quand tu écoutes certains rappeurs cainris, les assonances s’enchaînent et t’as l’impression d’entendre tout le temps la même sonorité. C’est exactement ce que font les Dipset. C’est ça qui fait que ça tue. Moi, ça m’est venu en écoutant Zoxea, Abuz… Le genre de mecs qui ne font pas autre chose que des assonances.

A : Si tu pouvais inviter n’importe qui pour un morceau, qui choisirais-tu ?

S : Sting. Si je peux vraiment me faire un kiff, ce serait avec lui. Après, j’aurai pu faire des feats avec des rappeurs cainris mais bons… Les cainris restent des cainris et s’en foutent de toi. C’est triste à dire mais c’est comme quand je vais me retrouver face à un rappeur allemand [Rires]. Il y a des paramètres qui font que ça va t’étonner de le voir rapper. C’est ce que pense un cainri quand il te voit. En plus, tu sais que si tu contactes un rappeur cainri, il va falloir mendier un peu. Si on vient vers moi, pourquoi pas. A un moment, je devais faire un truc avec The Game mais ça a capoté.

A : A l’avenir, on pourrait te revoir avec des gars de Boulogne ? Issaka, Dany Dan, Doum’s ?

S : Issaka, c’est un grand de la cité. Il m’a fait rêver quand j’étais petit. Je suis comme le petit des « Affranchis », hyper-respectueux. A un moment, je voulais sortir l’album d’Issaka sur Starting Blocks. Je trouve qu’il est très fort dans le dur.

Mais le problème de Boulogne est simple parce qu’à chaque fois c’est pareil. Un mec arrive et dit « suivez-moi, je suis le chef« . L’autre ne va pas vouloir le suivre et s’autoproclamer chef. Et ainsi de suite. S’il devait y avoir un mec devant, c’était Zoxea. C’est tout. Chacun a fait ses affaires de son côté et d’ailleurs ça marche. Booba a fait ses affaires, L.I.M a fait ses affaires, je fais les miennes… Il y avait trop d’ego à Boulogne.

Regarde quelqu’un comme Sir Doum’s. Il est super fort et on ne sait pas trop où il est aujourd’hui. C’est pour ça que je dis que Boulogne est un gâchis. On avait quelque chose entre les mains qui n’était pas comparable. Même la Mafia k’1fry est différente puisqu’il s’agit de départements différents alors qu’on était tous plus ou moins de la même cité. C’est comme ça. Moi j’ai lâché l’affaire.

A : Tu étais sur la B.O de « Cramé » sans jouer dedans. C’était voulu ?

S : Oui. Je ne dénigre pas les gens qui sont apparus dedans mais je ne voulais pas le faire. Honnêtement, j’aime les choses bien faites. J’ai trop kiffé les cainris pour m’afficher aujourd’hui.

D’ailleurs, on m’avait contacté pour faire le casting d’Un prophète. Un mec me contacte et me dit que quelqu’un est en train de faire un film et que tu dois jouer le rôle d’un Ethiopien [NDLR : dans la version finale du film, il s’agit du personnage de Latif l’Egyptien]. On me dit que le réalisateur m’a vu dans des vidéos et qu’il veut me voir. Mais je n’y suis pas allé. Parce que je suis chelou [Rires].

A : All Star ou Air Max ?

S : Ah les All Star, c’est un peu démodé, les requins c’est des chaussures de petit maintenant… Nan, on reste sur les Jordan. Je suis allé à New York récemment et j’ai fait un casse de Jordan. De toute façon, je suis en train de complètement changer de look en ce moment. Je suis en train de rentrer dans un nouveau délire, c’est chelou [Rires]. Ce sera pas pas à la Kanye West en tout cas ! Je déteste Kanye West, c’est viscéral. D’ailleurs, en voyant à quel point je ne l’aimais pas, j’ai compris pourquoi des gens n’aimaient pas Salif. Kanye West m’énerve et je ne pourrai pas t’expliquer pourquoi. A cause de ça, je n’arrive pas à m’intéresser au personnage et à sa musique alors que je trouverai peut-être des trucs mortels. Je pense que je dois faire le même effet à certaines personnes. J’ai pris conscience de ça il y a six mois à peine.

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