Pone, de la furie à la foi
Le son de la Fonky Family, c’est lui. Pone a composé des instrumentaux qui comptent parmi les plus marquants du rap marseillais et français, de « Sans rémission » à « Art de rue » en passant par « Hold Up ». Alors qu’il doit aujourd’hui composer avec une maladie incurable, Pone raconte son parcours, entre Toulouse, Marseille, sa famille et la FF.
L’information est tombée au cœur de l’été. Le 19 septembre prochain, la Fonky Family se reforme le temps d’un concert à l’Espace Julien de Marseille, après presque une décennie de séparation. Malgré la mise en vente des billets en pleines vacances estivales, la soirée a affiché complet en seulement deux jours. Si l’aura et l’influence du groupe marseillais explique pour beaucoup ce succès, la motivation derrière ce nouveau concert n’y est peut-être pas étrangère non plus : la FF souhaite apporter son soutien à Pone, metteur en son attitré du groupe, qui a été diagnostiqué de la maladie de Charcot en avril dernier.
De janvier à juin 2015, nous avons eu l’occasion d’échanger par téléphone à plusieurs reprises avec Pone, revenu depuis quelques années dans sa ville natale de Toulouse. L’idée de revenir sur la carrière et la discographie de Guilhem Gallart a pris d’autant plus de sens lorsqu’il s’est confié sur sa maladie. Une véritable chape de plomb au-dessus de sa tête, qui n’a pas entamé l’entrain de Pone dans le récit de son parcours, de ses débuts comme graffeur du quartier Arnaud-Bernard, aux tournées triomphales de la Fonky Family après les sorties de Si Dieu veut et Art de rue.
Deux albums qui, avec Mode de vie béton style du Rat Luciano, ont permis à Pone d’imprimer sa signature sonore. Sur le premier opus de la FF en 1997, Pone a synthétisé ses influences new-yorkaises en insufflant à des rythmiques sèches une certaine mélancolie méditerranéenne, puisée dans des samples hétéroclites. Sur l’album solo du Rat Luciano, Pone a fouillé ces atmosphères phocéennes à la fois chaleureuses et électriques, en piochant davantage dans le funk synthétique des années 80 et en épurant et accélérant ses rythmiques. Pone gardera ce gain en rapidité de ses instrumentaux pour le deuxième album de la Fonky Family, aux ambiances plus enlevées qui épousaient l’état d’esprit conquérant, parfois festif, de Sat, Menzo, Don Choa et Le Rat. En additionnant à son travail pour la FF ses collaborations avec le 113, dont le carton « Hold Up », Rohff, Diam’s, X-Men, 3e Oeil ou encore KDD, le producteur fut sans aucun doute l’un des compositeurs les plus importants de cette période d’expansion du rap en France, aux côtés de DJ Mehdi ou Djimi Finger.
Avec la séparation de la Fonky Family après la sortie de Marginale Musique en 2006 (où l’apport de Pone s’est limité à quatre prods), les nouvelles directions artistiques de ses rappeurs en solitaire, voire la reconversion de certains d’entre eux, Pone a pu disparaître de la mémoire collective du rap hexagonal. Un rap français de plus en plus converti à un son maximal et glacial, loin du sens de la composition minimum de Pone. Avec ses instrumentaux à la fois exigeants, envoûtants et, notamment sur Art de rue, accessibles, Pone a trouvé une touche singulière, en rapprochant son rap rugueux au son pop des années top 50. Un style à part, mis ensuite de côté par un rap français pressé de courir après les tendances américaines, mais qui a récemment trouvé chez un artiste comme Jul une certaine filiation.
À plusieurs reprises durant notre entretien, Pone s’est décrit avec humour comme un miraculé, tant son parcours dans la musique lui semblait inespéré rétrospectivement. Il attend aujourd’hui un deuxième miracle, bien plus vital.
Un grand merci à Pone pour son temps à bavarder au téléphone, et à Jee, Julien et Somnoleur pour leur aide.
Toulouse Graff, Top 50 et cassettes vierges
« Je suis né et ai vécu à Toulouse jusqu’à mes 18 ans. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été sensible à la musique – bon, c’était le top 50 au début, j’avais 5 ou 6 ans. Mais je sentais que c’était fort, alors que personne dans mon entourage n’était très musique. Je suis né en 1973, donc je me rappelle de Scorpion, Laurent Voulzy, ce genre de choses. Le premier truc que j’ai acheté, c’était « L’Œil du tigre », la B.O. de Rocky III. J’adorais ce son pop des années 80.
J’ai d’abord découvert le rap avec le smurf. J’étais en CM2, le jour de la kermesse, on breakait tous sur des cartons avec des gants blancs. [rires] Il y a eu un petit creux après ça, mais j’y suis revenu quelques temps plus tard avec Run DMC quand ils ont sorti « Walk This Way ». Quand je me suis rendu compte que c’était leur troisième album, j’ai acheté les deux premiers. L’amour du rap en tant que musique est vraiment venu vers 86. On devait être deux ou trois dans mon coin a écouté du rap, on avait deux cassettes qu’on se faisait tourner. J’ai découvert LL Cool J, EPMD, Rakim, Public Enemy, les groupes accessibles pour un gamin comme moi à Toulouse, où on n’avait pas de disquaires hyper pointus. Quelques grands ont réussi à avoir une émission de radio locale, des gars d’une vingtaine d’années, qui nous faisaient des cassettes, ou encore un autre qui avait tout le rap américain en vinyles. On passait nos journées chez lui avec des cassettes vierges.
Je viens d’Arnaud-Bernard, un quartier du centre-ville où beaucoup de graffeurs de Toulouse se rencontraient, il y avait là beaucoup de terrains vagues. En allant à l’école, je passais devant ces terrains, et j’étais déjà sensible au dessin. Quand je suis rentré en seconde, je me suis dit que j’allais taguer, sans même savoir que ça s’appelle « tag ». C’est un pote à moi qui me dit un jour : « tu tagues, toi ? ». Je commence à écrire mon nom sur les murs, je rencontre d’autres graffeurs. On constitue un noyau dur de sept ou huit, avec un groupe élargi d’une vingtaine. En l’espace d’un an on se fait un nom en taguant un peu partout.
« Le premier truc que j’ai acheté, c’était « L’Œil du tigre », la B.O. de Rocky III. J’adorais ce son pop des années 80. »
Dans le groupe de graffeurs dont je faisais partie, il y avait Soone, qui a ensuite fondé la marque de vêtements Bullrot. Il y avait déjà François [NDLR : Don Choa], qui n’était pas d’Arnaud-Bernard, mais que j’ai rencontré au lycée. Il a intégré assez vite la bande, taguait un peu, mais surtout toastait déjà, car il était plus dans le ragga. Il y avait une scène rap qui commençait sur Toulouse, avec Kool du Mouv, Skipper. C’est ce dernier qui m’a fait écouter Concept d’IAM. C’est là qu’on s’est dit qu’on pouvait le faire en français. On avait déjà écouté Lionel D, mais – paix à son âme – c’était plus du folklore, c’était la suite de Sidney. Concept, on sentait la filiation avec Public Enemy ou EPMD.
Pone, c’est mon premier nom de tagueur. C’était la mode des noms en « one » ; moi j’ai juste mis P, c’était une bonne lettre graphiquement. Du coup, on n’a pas arrêté de nous confondre avec DJ Pone. Il n’y a pas longtemps, il y a eu un article sur les groupes de rap français disparus [NDLR : sur Brain Magazine]. Dans le texte, il y avait des « DJ Pone » partout, que je faisais encore des dates sur Paris. C’est le correcteur qui a fait du zèle apparemment. Toute la vie on me la faite, mais ça me gène pas, c’est un bon gars avec beaucoup de talent. Ça m’aurait plus déranger qu’on me confonde avec une merde. [rires]
Je garde un souvenir génial du Toulouse de cette époque. On était des gamins, la ville était à nous ! C’était une bonne ambiance, on sortait sans qu’il y ait trop de tensions. Pour nous, c’était un peu un parc d’attractions à ciel ouvert. La ville n’a pas tant changé que ça, mais le fait d’avoir vécu un peu à Marseille, d’avoir vieilli, forcément, je regarde différemment. Elle s’est modernisée, c’est sûr : dans les années 70, c’était… un gros village ! A cette époque à Toulouse, il n’y avait pas de métro. Être d’Arnaud-Bernard ou du Mirail, le quartier de KDD, c’étaient deux choses complètement différentes. Je me rappelle d’un jour être allé au Mirail avec des potes pour une soirée rap : j’avais l’impression d’être dans un autre monde. »
Marseille Rencontres, apprentissage et Q-Tip
« Je me suis intéressé à la production après un stage dans un centre social sur le sampling. J’ai vraiment basculé quand je suis arrivé à Marseille vers 92, où j’avais une bande de potes. On est allé à Marseille avec Choa pour passer quelques jours de vacances, où on dormait chez un gars de Massilia Sound System, au Panier, pendant une semaine. Les gars nous ont emmené dans des soirées, des concerts. J’ai rencontré une meuf là-bas, et trois mois plus tard, je suis parti chez elle pour quinze jours. Et je ne suis pas rentré. Du coup je vivais chez ses parents, dans les quartiers Nord. Niveau scolarité, c’était catastrophique : j’ai fait trois fois la Seconde ! J’ai jamais été vraiment un cancre, mais j’avais trop la tête ailleurs. J’avais pas de plan précis à l’époque, je cherchais du taf à droite à gauche.
J’ai intégré une équipe de graffeurs. Soone venait souvent à Marseille, un des gars allait souvent à Toulouse : du coup on a créé un crew de graffeurs, le 313. Je continuais à graffer un peu, mais Marseille n’était pas vraiment une ville de graff. Par contre, c’était déjà très rap. Un des gars avait un sampleur, mais il ne réussissait pas à s’en servir et baissait les bras. Je lui ai demandé de me le prêter, et tout est parti de là. J’ai commencé à faire des instrus, et à les faire écouter à du monde. Notamment à Djel, qui est un des premiers que j’ai rencontré. Il commençait à toucher les platines. Choa venait de temps en temps en vacances, on a rencontré Sat par l’intermédiaire de Djel.
Avec un centre culturel, on a monté une sorte de crochet pour les talents locaux. Un mécène a monté un projet sur deux ans, avec vingt jeunes des quartiers Nord de Marseille, vingt jeunes de Vaux-en-Velin, et vingt jeunes de Mantes-la-Jolie. On avait chaque semaine des cours de danse, de chant, d’écriture. On est parti en voyage au Caire, à Dakar… Et parmi ces jeunes, il y avait Le Rat et Menzo, les Black & White Zulus. Djel les connaissait déjà parce qu’ils étaient du Panier, donc près de Belsunce. A cette époque, Christophe [NDLR : Le Rat Luciano] devait avoir 15 ou 16 ans. Menzo est parti aux Comores, où il est tombé malade et y est resté plus longtemps que prévu. Mais la connexion est faite, notamment avec Le Rat, que j’allais voir au Panier, où je lui faisais écouter des sons. Tout s’est accéléré quand Choa s’est installé à Marseille, vers octobre 1994. On habitait ensemble à Belsunce.
« Ma plus grosse influence, c’est Low End Theory d’A Tribe Called Quest. »
Dans la Fonky Family du départ, il y avait aussi Namor, trois danseurs, Karima. On enregistre notre première maquette, quatre morceaux, chez ma meuf, aux quartiers Nord. C’est même pas des archives, c’est des dossiers. [rires] Il n’y a que « On pète les plombs » qui est sorti : le mec qui tient une page fan du Rat Luciano sur Facebook m’avait harcelé pour avoir le morceau. J’ai jamais trop voulu ressortir ces morceaux par respect pour eux, on en avait parlé il y a dix ans de ça, on s’était dit que c’était vraiment affreux. [rires] Je samplais beaucoup de Funkadelic, Parliament, tout ça – un peu comme EPMD, mais avec beaucoup moins de talent. [sourire] Mais le son P-funk est tellement marqué que tu ne peux pas vraiment évoluer. C’est comme quand tu samples du raï ou du reggae: quoi que tu en fasses, ça sonnera toujours comme du raï ou du reggae. Il y a trop de codes bien marqués.
Fonky Family - « On pète les plombs »
Au même moment, il y a des groupes qui arrivent et qui me marquent. Ma plus grosse influence, c’est sûrement le deuxième album d’A Tribe Called Quest, Low End Theory. Je pense que Q-Tip est pour beaucoup dans le son de Queensbridge, c’est un des vrais génies de la production. Je le mets au même niveau qu’un DJ Premier, même s’il n’a pas produit autant. Il faisait simple, seulement quatre ou cinq pistes, alors qu’on sortait de Public Enemy, où il y avait cinquante pistes. J’ai pris ça de plein fouet. Et contre ma volonté je m’en suis imprégné, parce que j’ai toujours voulu éviter d’être trop influencé par les américains. Ça me faisait plaisir quand on me disait que mes prods sonnaient comme untel ou untel, mais après coup ça me faisait chier de ressembler à quelqu’un. Une grosse partie de mon travail, c’était de prendre du recul pour me demander si je ne sonnais pas comme certains américains. J’ai toujours voulu mettre la singularité artistique en premier. Je préférais faire moyen et original, qu’une excellente copie conforme. »
Si Dieu veut Samples, discipline et explosion
« On a fait notre premier concert en décembre 1994, pour la première partie de Sens Unik. A partir de là, ça fonctionnait plutôt bien entre nous. Et puis il y a eu le succès de « Bad Boys de Marseille », et on a commencé à se dire que ce serait génial de sortir un album. Surtout qu’à cette époque, le prix des studios était hors de portée, pareil pour ce qui était de presser des CDs. Si IAM ne nous avait pas signé, nous n’aurions pas pu faire d’album.
Ni Djel ni moi étions à Capri pour l’enregistrement de la première version de « Bad Boys de Marseille », ni à New York pour le tournage du clip. Seulement les quatre MCs et Karima. On était à la maison avec Djel : c’était un peu frustrant, mais on était tellement contents pour eux ! Sans faire de misérabilisme, on était tous encore des moins que rien, donc se retrouver sur l’album d’Akhenaton, c’était un vrai coup à jouer. On ne pensait même pas qu’on pouvait aller aussi loin. C’était de l’ordre du rêve.
Pendant cette période où ils sont absents, et plus largement entre 1994 et 1998, je bossais en moyenne seize heures par jour. La journée type, c’était : réveil entre 7h et 8h par le Rat Luciano, qui est un lève tôt ; jusqu’à 12h, on pose des textes à lui en one shot sur des prods que j’ai fait la veille ; l’après-midi, les autres arrivent, ça rappe ; et quand tout le monde rentre chez soi vers 20h, je fais du son jusqu’à 2 ou 3h du matin. J’ai acheté du nouveau matos, on m’en a prêté aussi.
Pour Si Dieu veut, pendant six mois, on a dû maquetter entre quarante et cinquante morceaux, pour en garder une quinzaine. C’était début 97. On est entré en studio au printemps 97. On a enregistré l’album à Cactus, le très gros studio de Marseille, mais qui est très modeste comparé à ceux de Paris. J’étais en permanence derrière la console quand les gars étaient au micro. Modestement, j’essayais, avec Djel, de les aider à être plus performant sur leur exécution, ou parfois sur leur écriture.
J’achetais beaucoup de vinyles, je samplais tout ce qui traînais, je pillais la bibliothèque, les CDs des potes : je bouffais du son tout le temps. Beaucoup de soul un peu « deep », Barry White, Issac Hayes, Curtis Mayfield, et de la musique des années 80. Je ne faisais pas le puriste niveau sampling. Je tombais sur un disque, la pochette me plaisait, je le prenais : ça n’allait pas plus loin que ça. Je samplais des trucs comme du Pink Floyd, même si c’était pas forcément ce que j’aimais écouter. Du coup, j’avais énormément de samples qui me plaisait et que je voulais sortir. C’est pour ça que sur certains morceaux, comme « Cherche pas à comprendre » ou « La Résistance », il y a des changements de samples. Ça surprenait souvent les rappeurs, mais après trois ou quatre écoutes, ils me disaient que ça apportait quelque chose d’original. Ça me confortait dans mon envie de sortir ces boucles de partout.
Fonky Family - « Cherche pas à comprendre »
François [NDLR : Kephren d’IAM], qui était notre manager de l’époque, nous avait demandé qui on voulait pour mixer l’album. Comme on connaissait surtout le rap américain – on bouffait les nouveautés tout le temps – on avait retenu un nom : Mario Rodriguez, qui avait notamment fait tout l’enregistrement de Ready to Die. On a donc lancé son nom sans trop y croire. Après un concert qu’on avait donné à Montpellier, François nous dit : « Mario Rodriguez est dans l’avion pour Marseille ». C’est là qu’on s’est dit que l’album allait vraiment se faire. On s’est donc retrouvé avec lui dès le lendemain à Cactus. Ce qui était génial, c’est qu’il a aussi fait le recording – alors que c’est un ingé son, c’est pas son boulot à la base. Le fait qu’il soit là nous a fait augmenter notre niveau d’exigence de façon considérable. Le mec est un pote de Puff Daddy, on ne devait pas se planter. Surtout qu’il a tout recalibré en studio, les bandes, l’acoustique…
« Avec Si Dieu veut, on réalisait un rêve de gamins. Mais je ne m’attendais pas au succès qu’on a eu. »
Quand on a mixé avec Mario, on était vraiment seuls. On était dans le « Voyageur 2 », un camion façon K2000 avec tout un bordel dedans. [rires] On a mixé une première moitié dans ce camion, et l’autre à Miraval [NDLR : à Correns, dans le Var], un studio où a mixé U2. J’avais demandé aux gars de nous laisser mixer tranquillement, sans avoir trois gars pour nous dire que leur voix est sous-mixée. Il faut avoir une vision globale. Je demandais à Mario d’être créatif, d’essayer des choses qu’il avait toujours voulu faire. Ce sont des choses peut-être anodines pour l’auditeur lambda, mais c’était énorme pour moi, sur les delay, les panoramiques. Je voulais de gros partis pris en terme de mix. D’ailleurs, quand on a fait écouter l’album à Olivier Cachin, qui était à L’Affiche à l’époque, il m’a dit : « c’est quoi ces « pff pff pff »? ». Il me parlait des charleys. [rires] On sortait de Pete Rock, Mobb Deep, qui mettaient les charleys très en avant. Je dis ça très modestement, on n’a pas révolutionné quoi que ce soit, mais c’était ce genre de partis pris que je voulais. Ensuite, on a été à New York pour le mastering. On a a travaillé avec Chris Gehringer, au Hit Factory, l’un des plus gros studios américains. J’étais le plus heureux des hommes.
On avait l’impression de réaliser un rêve de gamin. Par contre, je ne m’attendais pas au succès qu’on a eu. Je me disais qu’on avait fait un bon album, mais qu’on n’allait pas en vendre. Pour moi, on n’avait pas de singles, on avait un clip pourri, et on a fait des morceaux de cinq ou six minutes. Je me suis dit : « si on en vend 25.000, c’est magnifique ».
Ma production préférée de Si Dieu veut, c’est « Tu nous connais », mais j’aime beaucoup aussi « Cherche pas à comprendre », « La Résistance », « Sans faire couler le sang »… J’étais relativement content de toutes les prods, ou plutôt du résultat final des morceaux ce qui est plutôt rare chez moi. [sourire] On avait un album cohérent et bien enchaîné. Je m’étais d’ailleurs pris la tete sur l’ordre des morceaux. La cohésion est un des points forts de l’album.
Fonky Family - « Tu nous connais »
Au bout d’une ou deux semaines de tournée, je n’en pouvais plus. Donc je rentrais chez moi, et je faisais du son. Je n’avais pas de Mac Book Pro à l’époque : des tournées de trois ou quatre mois sans produire de musique, je pétais un plomb ! Donc je faisais le début de la tournée, et après je revenais sur des grosses dates. Surtout que je ne touchais pas aux platines, c’était le rôle de Djel. Franchement, en tournée, je me branlais. [rires] Sur les premières dates, on avait encore les instrus sur DAT, donc je faisais « play », « pause », « play », « pause » toute la soirée. Et quand on a eu les instrus sur vinyles, je ne faisais plus rien, [rires] je dégustais. On avait un manager hyper compétent, donc je ne m’occupais de plus rien. Sans faire le mec blasé, quand tu as fais dix dates, et que tu sais qu’il t’en reste cinquante, t’as envie de faire du son. »
Mode de vie béton style Potes, funk et insatisfaction
« On enregistrait toujours régulièrement avec Le Rat depuis 1995. Mais c’est au printemps 1999 qu’on est parti en enregistrement en pré-maquette. Aucun des premiers titres qu’on a enregistré avant n’est sorti, mais ça a été un aboutissement de tout ce travail. On est parti en pré-maquette dans les Alpes, avec une dizaine de potes dont Menzo, dans un chalet où il n’y avait pas de télé, rien. On était au milieu de la neige : il n’y avait rien d’autre à faire que de bosser. C’était la première fois qu’on s’isolait totalement pour travailler. Ce chalet, c’était un endroit où il avait l’habitude d’aller plus jeune avec le centre social du Panier. Ça devait être lié à des souvenirs de jeunesse, Le Rat étant très attaché à ses potes.
J’ai ramené tout mon matériel là-bas, et on a monté un petit studio dans ce qui nous a servi de salon : baffles, table de mixage, synthé, ordinateur, sampleur, disques. Ce cocon, cette ambiance, les bringues qu’on faisait le soir, ça a complètement influencé le son que j’ai produit. On était dans des bonnes conditions pour jouer de la musique : on jouait, on était comme des gamins.
En une semaine, on a enregistré six ou sept morceaux de l’album, dont certains titres phares, comme « Mode de vie complexe ». Le décalage entre le pitch du sample, ralenti, et le beat assez rapide, c’est quelque chose que je faisais souvent à l’époque, mais beaucoup de ces morceaux ne sont pas sortis. Je le trouvais énorme ce sample de Millie Jackson – en fait, deux samples que j’avais mis bout-à-bout. Un de nos potes le kiffait tellement qu’il l’a écouté en boucle pendant vingt-quatre heures, et dès que je le voyais, il me disait « c’est une bombe ». [rires] Je me suis donc senti obligé de le travailler, Le Rat a accroché, et on a gardé ça comme ça.
Le Rat Luciano - « Mode de vie complexe »
On a fait ensuite un break de deux ou trois semaines avant d’aller à Polygone pour enregistrer, à moitié maquette, à moitié recording, donc Le Rat continuait à écrire tout le temps. De mon côté, un ami, Moktar, associé de Soone chez Bullrot et ancien DJ, m’a mis à disposition sa collection de vinyles, qui comportait des milliers d’albums, dont certains assez rares, surtout de funk des années 80. C’était un genre qui n’avait pas été tant pillé que ça. Ces albums ont été la source de bien cinq ou six autres morceaux de l’album du Rat.
Pour certains morceaux, Christophe Boin, qui a mixé des titres avec nous à Polygone, a proposé de ramener des musiciens [NDLR : il est crédité sur « Sacré » et « On hait »]. En fait, il a presque fait ça en douce, le soir après le mix. Il testait des trucs, et nous faisait écouter le lendemain. J’étais super ouvert à ça, et si ça marchait, et que Le Rat était content, je validais.
J’étais assez productif à cette époque-là, et j’avais envie de passer à une nouvelle étape après Si Dieu veut, de proposer autre chose. J’étais aussi sûrement décomplexé sur le fait de sampler du rock, de la pop, alors qu’il y avait une sorte de « rapologiquement » correct à sampler de la soul ou du funk.
DJ Mehdi était avec moi en studio quand j’ai produit « Derrière les apparences », et me disait que c’était ma meilleure prod. J’aime beaucoup aussi « Nous contre eux » avec Sat et Rohff. Certaines prods sont un peu naïves, les drums un peu légers, je me suis peut-être pas dès fois assez cassé la tête. Mais je les ai faites avec passion. Je suis assez fier de l’ensemble musical de cet album.
« Le Rat, c’est Zidane. C’est le rappeur préféré de tous les grands rappeurs. »
On a pratiquement fait cet album en one shot. Les maquettes, le recording et le mix ont pris deux mois. Le Rat n’a pas eu le temps de se retourner, on est passé d’un morceau à un autre. Par contre à la fin de l’album, au moment du mastering, Le Rat n’était pas satisfait de l’album, il trouvait plein de textes légers. Il n’était pas content de sa performance de rappeur. Pourtant, il était content pendant l’enregistrement des morceaux. Je me souviens l’avoir vu sortir de la cabine les larmes aux yeux après avoir posé « Sacré », ému du morceau. Mais au moment de la sortie de l’album, il annule la tournée promo des radios, et la tournée des concerts, une vingtaine de dates dans des grandes villes.
On fait le clip « Sacré », qui est hyper moyen mais a le mérite d’exister, mais je pense que c’était une erreur artistique de sortir ce track en premier, parce qu’il n’est pas du tout représentatif de l’album à mon goût. Oxmo Puccino m’a dit par exemple qu’il n’avait écouter l’album que quatre ans après, parce que sur le moment le single ne lui avait pas plu. Et c’est quelque chose qu’on m’a souvent dit. Le single était peut-être musicalement trop commercial.
Du coup, comme on devait enchaîner sur Art de rue, Le Rat se lance tout de suite sur cet album. Mode de vie béton style sort en octobre 2000, et tout de suite après on retourne à Polygone pour Art de rue. Il se sacrifie d’une certaine manière, à la fois parce qu’il ne se sentait pas de défendre son album, et aussi parce qu’il voulait faire avancer la FF.
Reste qu’on a eu un gros succès d’estime avec cet album, avec 80.000 ou 90.000 ventes – on ne fera disque d’or qu’en 2005 ou 2006. Le Rat n’a pas agi comme un connard ou un mec gâté. Il savait ce qu’il voulait, Sony a compris le message. La pilule est d’autant plus facile pour eux qu’ils savaient qu’on rentrait sur un album de la FF.
Personnellement, je suis aussi fier de cet album que de Si Dieu veut. C’est un putain d’album, écrit par un putain d’MC. Booba m’a dit que la première fois qu’il est entré en prison, il n’écoutait que Si Dieu veut, et la deuxième fois, que Mode de vie béton style. Ça conforte mon sentiment. Ce n’est pas forcément mon album préféré de rap français, mais c’est un album qui est beaucoup trop sous-estimé.
Le Rat, c’est Zidane. C’est le rappeur préféré de tous les grands rappeurs : Booba, Lino, Rim-K, Kery James. Il est hyper impressionnant en studio. Je suis monté avec lui quelques fois quand il posait sur des featurings : dès qu’il posait son couplet, les mecs pétaient un plomb. Mais lui, ça ne lui va pas, [rires] alors il repose un meilleur couplet. Il leur en fait cinq ou six comme ça. Il était tellement prolifique en termes d’écriture, il pouvait faire trois ou quatre morceaux par jour. Il travaillait 18 heures par jour, et je crois qu’il le fait encore aujourd’hui. »
Art de rue Bringues, télé et professionnalisation
« Pendant que le Rat enregistrait Mode de vie béton style, tout le monde était en pause, soit en vacances, soit de retour en studio. On rentre tous en pré-prod en octobre 2000, à la sortie de l’album du Rat, puisqu’il annule sa tournée promo.
J’étais dans la lancée de Mode de vie béton style musicalement. Même si je suis pas forcément d’accord avec Sat quand il disait qu’ils se faisaient chier sur scène avec les morceaux du premier album, c’est vrai qu’une majorité était un peu molle, à part « Sans rémission » et quelques autres. Ils voulaient en tout cas quelque chose de plus patate.
En pré-production, à Marseille, je crois qu’on a fait d’abord les morceaux produits par Le Rat, « Flics, filles, descente », « Imagine », « Dans la légende », et que moi j’ai commencé à rentrer en force ensuite à Polygone. Je suis assez admiratif du travail de production du Rat. C’est quelqu’un qui a une volonté de faire. Je suis envieux par la facilité qu’il a à faire tourner des samples. Des boucles que je ne voyais pas spécialement et cinq minutes après, il se passe quelque chose. Je me rappelle particulièrement d' »Imagine » et ce sample un peu obscur qu’il avait hyper ralenti ou hyper accéléré. Il prenait ça pour un défi que je lui dise « ça ne marchera pas ». Il en prenait un malin plaisir en fait. Chaque fois que j’écoutais cinquante disques, lui les réécoutait, même si je lui disais « il n’y a rien ». Mais il sortait toujours deux ou trois samples. Si ça tournait bien, si ou bougeait la tête dessus : pour lui c’était banco.
On arrive à Toulouse avec six ou sept morceaux pas plus, et je sais que j’ai tout fait là-bas, dont « Art de rue ». J’ai quasiment bossé en live en fait : je lançais une prod, et ils posaient. Pour « Art de rue », à peine la boucle commençait à bien tourner que Choa a trouvé le refrain. Je crois que c’est Soone qui m’a ramené l’original de Rockwell – je m’étais installé chez lui le temps de l’enregistrement de l’album. Je bossais un peu chez lui, et je crois bien que c’est lui qui m’a fait écouter ce sample.
Il y a une prod que j’adore sur cet album : c’est « Les miens m’ont dit », avec ses plusieurs samples. Je l’ai réécouté il y a peu de temps, dix ans sans l’avoir entendu, et je me suis dit qu’elle était toujours mortelle. J’aime beaucoup l’ambiance de « La Nuit » aussi. Quand j’ai samplé Toto sur « Mystère et suspense », je n’ai rien calculé : je prenais des samples en veux tu en voilà. J’ai passé une semaine à écouter des centaines de disque, et au moment où j’ai fait cet instru, je ne savais même pas que c’est Toto ! On ne l’a même pas déclaré je crois. J’ai su que c’est Toto bien après en réécoutant leur album. [rires] Et le morceau est mortel en plus ! Quand je suis en mode sampling, je suis un fennec, un sniper : il n’y pas le plaisir d’écouter la musique.
Tout comme sur Si Dieu veut, il y a des morceaux avec plusieurs samples sur cet album. Le meilleur exemple c’est « Art de rue ». C’est un truc que j’ai voulu continuer à faire, même si c’est un peu plus léché et que certaines prods sont un peu plus conventionnelles. Disons qu’elles sont plus propres que celles de Si Dieu veut. Mais aussi c’est parce que c’est plus pro en termes de choix de son. Les boucles sont mieux samplées, mieux mixées. Les charleys sont moins mis en avant – mais c’est aussi parce que c’était plus rapide en BPM. C’était peut-être plus formaté, notamment au niveau de la durée des morceaux. Mais ce n’était pas forcément un souhait ou une volonté de notre part, même si force est de constater que c’est le cas. Art de rue est plus un album de singles, il y en a quatre ou cinq potentiels. Mais ce n’est pas quelque chose dont on fait gaffe au moment de l’enregistrement.
Je prends beaucoup de plaisir à enregistrer cet album. Peut-être pas autant que Si Dieu veut, parce que c’était la première fois, mais on prend tous énormément de plaisir. C’était très festif, on bringuait tous les soirs ! Mais on ne s’était pas embourgeoisé non plus. En 1999, on habitait encore à Belsunce avec Choa et Djel. On a été double disque d’or, sur Si Dieu veut et le Hors série volume 1, je sortais de l’album du Rat, et on n’avait pas de télé, je dormais sur un matelas par terre au sol. Je me suis acheté une télé seulement pour l’Euro 2000, une petite carré, on aurait cru un minitel. [rires] J’ai quitté Belsunce seulement en 2006. Et Belsunce, c’est pas Hollywood Boulevard !
Mais peut-être qu’on s’est un peu ramolli dans une espèce de recherche inconsciente de pertinence artistique, alors qu’avant, on cherchait plus à faire un truc original, même si c’était moyen. On était peut-être plus suffisants, auto-satisfaits. Au moment du mix, certains membres du groupe s’extasiait à l’écoute des morceaux. Après, c’est peut-être une fausse modestie de ma part aussi : j’ai jamais pu dire si nos sons tuaient.
On a vu l’accueil de l’album par trois lorgnettes : la maison de disques, les journalistes, et nos potes à Marseille. A Marseille, tu te doutes bien que tu ne pouvais pas aller dans la rue sans entendre un des morceaux à fond. On est les enfants du Panier, de Belsunce. Niveau maison de disque, je crois qu’on a été pratiquement disque d’or le jour même ou le lendemain, avec les précommandes. Et enfin certains journalistes nous ont fait sentir qu’on a passé un cap, qu’on a transformé l’essai. On n’était pas un coup. On a eu des journaux comme Le Monde ou Le Figaro qui en parlent, quand pour Si Dieu veut c’était R.E.R. et L’Affiche.
La tournée qui a suivi, c’était les Rolling Stones. [rires] Gros bus, on était vingt-cinq sur la route, on a fait quatre-vingt dates, jusqu’au Canada, en Suisse, en Belgique, à la Réunion, avec toutes les dates « sold out ». C’était un carnage. Après, il y a eu un autre effet que j’ai ressenti. On est passé du moment où c’était mortel d’aimer la FF à celui où c’était bien de ne pas aimer la FF. Quand tout le monde commence à aimer, ceux du début n’aime pas. J’ai senti ce virage vers 2002. »
Dans mon monde / Vapeurs toxiques Solos, divergences et immaturité
« Il y a un petit conflit entre Sat et Choa, à savoir qui va sortir un solo en premier. Sat est quasiment prêt, donc ça va vite. Pour ce qui est du solo de Sat [NDLR : Dans mon monde, sorti en 2002], je trouve sur le moment qu’il s’est planté. D’avoir voulu couper le cordon avec la FF au niveau des prods, des featurings, de l’accompagnement : faute technique. Avec le recul, je comprends qu’il ait voulu faire un truc plus personnel. Mais je me dis quand même : faute. Il y a Medeline, Sayd des Mureaux, des producteurs tops, très influencés par le rap américain, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soit. Mais je préfère être honnête : quelqu’un comme Sayd, que j’apprécie et qui a énormément de talent, tu m’aurais fait écouter des prods de lui en me disant « c’est Dre », je t’aurais cru. C’est génial, mais pour moi c’est un problème. Je n’ai jamais vu ça comme quelque chose à mettre en avant. Et je ne sais pas si les gens attendaient Sat sur des prods comme ça.
Après, « Réalise », ma prod sur cet album, n’est pas géniale je trouve. C’était une époque où je m’étais fait opérer des ligaments croisés du genou. J’étais à l’hopital au moment où je lui ai envoyé des prods, donc j’ai pas pu vraiment me pencher sur cet album et lui proposer beaucoup de prods. Ça a été un concours de circonstances aussi.
Sat - « Réalise »
Pour Vapeurs toxiques, l’album de Don Choa, on a commencé à travailler à la maison, comme on habitait encore ensemble à Belsunce. Puis on a été à Polygone, en 2002, pendant la Coupe du monde. On a passé deux ou trois mois là-bas. J’ai toujours eu cinquante ou cent prods d’avance avant de travailler sur un album. Et pour mes gars, j’essayais de faire du sur-mesure. Avec Choa, comme sur les autres albums avant, on n’a pas eu forcément des discussions fondatrices sur la direction artistique. Donc je lui faisais tout écouter, et il choisissait.
Choa était capable d’être un bourreau de travail, mais il fallait qu’il s’y mette. Une fois qu’il s’y mettait, il pouvait se mettre la tête sous l’eau pendant une ou deux semaines, et il a été presque trop perfectionniste à certains moments pour poser des couplets. Mais c’était pas évident dès qu’il avait un petite perte d’inspi ou de motivation.
« Don Choa, c’est un peu le gamin qui attend le dimanche soir pour faire ses devoirs. »
Choa, c’est un peu le gamin qui attend le dimanche soir ou le petit déjeuner du lundi pour faire ses devoirs. [sourire] « Dans quinze jours on rentre en mix, il nous manque six morceaux! », « T’inquiètes ! ». Quand il te dit « je fais du rap pour tous les jours me lever à midi », c’est ça ! Il ne voulait pas travailler, ne voulait pas de la vie d’adulte. Ne lui parle de facture, il est tout le temps en retard sur tout. Encore aujourd’hui, j’en parlais récemment avec lui. A côté de ça, c’est un mec cultivé avec qui tu peux parler des heures d’histoire, de littérature, de politique. Mais je pense, sans trop trahir sa pensée, que s’il avait pu faire le Peter Pan et rester à 14 ans, il l’aurait fait. Et il va toujours essayer de rester comme ça. [rires] La rime sur le budget de Sony explosé [NDLR : dans « Petit bordel 2 »], c’est vrai ! Ça a même failli être problématique !
Don Choa - « Nuit du chasseur »
J’adore « Nuit du chasseur », « Entrailles » et « 7h du Mat ». « Nuit du chasseur », l’ambiance, c’est de la folie. A chaque fois que je la réécoute, avec son sample chelou, ça me fait un truc. Ça doit être un groupe qui a fait du disco-funk après, mais qui faisait des choses plus sombres dans les années 70. « 7H du Mat », c’est l’une des premières fois où j’étais content d’une prod où tout est joué – même si je dois dire que je m’étais bien fait aider par un assistant en studio. [rires] Sur « Aah », il n’y a rien. J’avais joué des cuivres dedans, mais Choa n’en voulait pas. Il y a un an ou deux, il m’a dit : « putain, j’aurais du les mettre ! ». [sourire] Ça, c’est Choa.
Pour moi, c’est un bon album. Il s’est livré tout en faisant du Choa. Il y a quelques erreurs de jeunesse sur certains morceaux, notamment « Hannibal » et « Mitraille ». On a eu une grosse discussion lui et moi sur ça : quand les gens de Sony lui ont fait du forcing pour les mettre en avant parce que Laurent Bounneau a flashé dessus, je lui ai dit que c’était une grave erreur. C’étaient juste des morceaux rigolos que tu laisses au fond de l’album. Il venait de « Art de rue » et « Sans rémission », c’était une faute ! Je pense même que si ça avait été l’ancienne équipe de S.M.A.L.L., ils auraient dit non. Et on n’est toujours pas d’accord sur ça quand on en parle, même si on en rigole. On est toujours super amis, et j’ai continué à bosser avec lui sur son album suivant, Jungle de béton [NDLR : sur lequel Pone produit quatre titres]. »
Marginale musique Eloignement, panne et désaccords
« Après Art de rue et les solos de Sat et Choa, c’est un peu le début de la fin. On a commencé à se fréquenter de moins en moins en dehors des studios. En 95, on était tout le temps ensemble ; à partir de 2002, chacun a commencé à avoir sa petite équipe de potes. Ce n’était pas non plus des gens qui venaient de je-ne-sais-où : c’étaient vraiment des potes de quartiers. Mais à partir du moment où on ne se voyait qu’en studio, on a décliné. Je le réalise avec le recul. Après, il y a aussi la vie : certains se sont mariés, ont fondé une famille. On n’allait pas resté tout notre vie ensemble, ça aurait été chelou. [sourire]
On a passé trois ans en studio. La première partie dans un local où on n’a pas fait grand chose à part jouer et faire des bringues. Le seul morceau qu’on a fait et qui sera sur Marginale musique, c’est « Les affaires reprennent ». C’est le seul rescapé. Mais on n’y arrivait plus. On avait encore l’amitié, mais on ne se voyait plus qu’aux horaires de bureau. On entendait souvent des « il est 18h30, j’y vais », ce qui n’était pas le cas dix ans avant.
À un moment donné, on s’est dit qu’il fallait y aller. On est allé au studio Le Petit Mas à Martigues, où on avait fait Chroniques de Mars à l’époque. On s’est mis au pied du mur. Au niveau de mes prods, je voyais que ça ne satisfaisait pas tout le monde. Donc on a fait appel à des producteurs extérieurs, ce qui m’a fortement déplu. Et même avec le recul aujourd’hui, je ne pense pas que c’est seulement une question d’ego. Je ne peux pas le nier qu’il y a une part d’ego. Mais c’est surtout que pour moi, la Fonky Family, c’est nous. Si on n’est moins bon, ça doit rester nous quand même. Mais c’était un message très dur à faire passer, parce que je prêchais pour ma paroisse, et ça a pu passer pour de l’égoïsme. Pourtant, je ne l’ai jamais dit clairement, j’ai dit juste : « il y a Le Rat, moi, on sait faire, on l’a prouvé ». Mais les choses se sont quand même faites comme ça. Je voyais bien qu’il y a moins d’excitation pour mes instrus qu’avant. Je savais que les autres prods étaient bonnes, mais ça ne nous ressemblait pas. Trop parisien, trop ricain. Ce n’était pas nous.
« Je n’avais plus l’envie, plus de motivation. J’étais un peu blasé, ce qui est totalement con. »
J’étais devenu moins bon aussi, déjà parce que je travaillais moins. J’étais passé d’une moyenne de 12 à 15 heures de prod presque sept jours sur sept, à deux ou trois heures le soir. Je n’avais plus l’envie, plus de motivation. J’étais un peu blasé, ce qui est totalement con. J’avais moins faim. J’aurais du sentir venir le piège et me remotiver à l’image de mes idoles, Dr. Dre et compagnie. J’ai donc validé les morceaux à contre-cœur. A un moment donné, j’ai juste dit : « vous êtes contents ? Alors moi aussi ». Il fallait avancer. Si le morceau tourne et est validé, je ne vais pas faire ma tête de con.
J’aime bien « Les affaires reprennent », « Le Quartier » et surtout « Ils le savent », je l’adore. J’en étais particulièrement fier parce que j’ai trouvé une technique pour découper le sample qui n’était pas évidente, et que je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu ailleurs.
Fonky Family - « Ils le savent »
Au moment de la sortie de Marginale musique, je m’en branlais. Je ne l’ai même pas réécouter depuis. Tu me fais un blind test avec les morceaux de cet album, je perds. Je suis sorti du travail sur cet album sans plaisir. Après c’est quand même un succès, parce qu’on a fait disque d’or assez rapidement je crois. Mais pour moi on n’a pas fait un bon album, ça n’engage que moi. Il a marché parce que c’était la FF.
La vie après la FF Famille, maladie et retrouvailles
En 2005 et 2006, je profitais encore des droits d’auteurs de Si Dieu veut et de Art de rue, de mes morceaux avec 113, Rohff, et Diam’s [NDLR : « Évasion », sur Brut de femme, en 2003]. J’avais des SACEM assez importantes. Au niveau du rap, je ne suis pas spécialement dans le délire « c’était mieux avant », mais forcément, en 2005, à part quelques fulgurances, il n’y a pas grand chose qui m’attirait niveau rap. J’en écoutais de moins en moins. J’ai été tenté à chaque fois d’écouter les mecs que j’écoutais à l’époque et qui faisaient des come back, mais ça m’a déçu. Je trouve plus mon compte depuis deux ou trois ans par exemple : Meek Mill, Action Bronson, Schoolboy Q, j’adore. C’est frais, ça rappe.
En 2006, je quitte Belsunce pour les quartiers Nord, avec la personne qui deviendra ma femme. On a déménagé sur Toulouse en 2011 ou 2012. Il y a eu plusieurs choses. Déjà, j’ai eu deux enfants, que je ne voyais pas grandir à Marseille. La première rentrée de ma fille en maternelle, son école était un carnage. Deuxième chose : ma femme n’a jamais aimé Marseille, c’est une cannoise d’origine. Je l’ai amené à Toulouse, elle a aimé le coin.
Et puis on m’a proposé du boulot à Toulouse. J’avais déjà des activités professionnelles après la FF : je faisais des soirées, je manageais des DJs, je me suis retrouvé un moment avec une cinquantaine d’employés dans l’organisation de soirées hip-hop sur Marseille. Mais depuis que je suis à Toulouse, je travaille dans un centre de formation professionnelle autour de la musique et du hip-hop, créé par ma tante, où je bosse avec Robert des KDD. On forme à la stratégie, au marketing, etc. J’intervenais de temps en temps dans cette formation à partir de 2005 ou 2006, et quand on m’a proposé d’être à plein temps, ça a pesé dans le déménagement.
« Je me dis parfois : « comment on peut être heureux avec la maladie de Charcot ? ». Mais je le suis. »
A partir de septembre 2014, j’ai senti comme une gêne à la marche. Je sentais un truc qui n’allait pas dans une jambe, mais très léger. Comme s’il me manquait un ou deux centimètres dans une jambe. Et plus ça allait, plus je le sentais. Donc je suis allé voir un neurologue, qui m’a fait faire des IRM, etc. On n’a rien trouver, donc il ne restait que les maladies neuro-musculaires. Ça s’est confirmé vers avril : maladie de Charcot.
Les premiers jours ont été très compliqués. Maladie mortelle, dégénérative, incurable : je me caguais dessus. Je marche comme un vieillard. Je mets une minute à faire dix mètres. Je n’arrive plus à ouvrir une bouteille neuve d’eau. En fait, mes neurones vont trop vite et surchauffent. Il faut que je descende en pression. Le neurologue m’a dit de tout ralentir. Je ne travaille plus depuis avril. Je ne fais quasiment que du canapé ou du lit. Un de mes potes a un cancer très avancé et me dit : « je me lève le matin et je pars pour vingt-quatre heures ». Il y a six mois, je me disais : « tu fais comment ? ». Quand je lui ai appris pour ma maladie, il m’a dit sur Facebook : « Maintenant tu sais. Tu fais avec ».
J’ai la chance d’être super bien entouré. Il y a ma femme et mes filles, qui ont 4 ans et 7 ans. La grande commence à sentir qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Mais j’ai de l’amour autour de moi, c’est le plus essentiel. J’ai aussi la chance d’être croyant et pratiquant. J’essaie d’avoir le plus de foi possible, parce que sans la foi, vu ma maladie, ce serait terminé, je partirais dans deux ans. Je suis heureux, je souris tous les jours. Même moi je me dis parfois : « comment on peut être heureux avec la maladie de Charcot ? ». Mais je le suis. Et pourtant, à terme, je vais être tétraplégique, je vais me transformer en aubergine. Mais je suis prêt. Je ne vais pas attendre ça les bras ballants, sans rien faire, et me battre jusqu’au bout.
Je vois deux kinés, plusieurs médecins, un neurologue. J’ai quand même un espoir, grâce à des témoignages directs, de gens qui ont guéri. Je crois au miracle, c’est mon seul espoir. Parce qu’au niveau de la recherche… Le Ice Bucket Challenge, c’était pour ça, d’ailleurs. Ça a permis à des chercheurs d’essayer de nouveaux protocoles. Mais ce n’est que des ralentissements de la maladie, pas de guérison.
Comme j’ai un régime très spécial – je ne mange plus de viande, notamment -, il y a Menzo qui est arrivé un samedi soir avec une glacière remplie de poissons pêchés le matin. C’était génial. Je vois souvent Choa puisqu’il est à Toulouse. Et les autres ne vont pas tarder à passer [NDLR : propos recueillis en juin]. Tu sais, quand tu deviens malade comme ça, tout le monde t’adore [rire]. Il n’y a rien d’hypocrite dans ce qu’ils font, mais j’ai réussi à accroître ma cote d’amour. Dans les deux sens d’ailleurs, les gens m’aiment plus, et c’est réciproque. Là on se tombe dans les bras, donc c’est chouette. »
bonjour, pouvez vous me donner l’adresse mail de Pone?
atteint de cette même maladie, besoin urgent de parler avec lui. SVP!!!
Salut Were One.
Le DJ Pone dont tu parles va très bien et n’est pas celui interviewé ici. Celui interviewé ici est le beatmaker de la FF, pas le turntablist dont tu parles. https://www.abcdrduson.com/interviews/dj-pone/
Tous avec toi Pone. Garde espoir!!!
Tu es la référence de beaucoup de dj de la fin 90 début 2000, notamment avec ta victoire aux DMC 99 face a DjDjel qui pour moi, était l’essence même du turntablism… Un putain de battle inoubliable.
Sincèrement de tout coeur avec toi, je t’envoie de l’amour.
Enfin une interview de Pone !
Cet album !!! L’album avec une identité sonore inimitable ! « Si Dieu Veut » . Ces instrues faites par et pour la FF ! Alchimie !
Pone : un Black Album « si Dieu veut »
Belle interview, un pan de l’histoire de la FF qu’on se plaît à découvrir et Pone est criant de sincérité, un gros respect à lui, à ce qu’il a apporté au rap français et plein de courage pour ne pas baisser les bras face à la maladie.
Je suis du Québec et j’ai passé mon adolescence à écouter la FF mais je dirais encore aujourd’hui! J’étais un grand fan fini de la FF mais je dirais encore aujourd’hui! Je souhaite de tout coeur ce miracle à Pone, courage et peace!
merci pour cet article !
sinon je cherche le modèle de nike que le rat luciano porte (photo en n&B où il est assis)… si quelqu’un sait je suis preneur ! merci..
Superbe papier! Merci!
Je suis satisfait de lire Pone qui mentionne ce fait. « Booba m’a dit que la première fois qu’il est entré en prison, il n’écoutait que Si Dieu veut, et la deuxième fois, que Mode de vie béton style. »
Je n’ai commencé à écouter Booba que très récemment et j’ai remarqué énormément de références à la FF et au Rat dans ses textes, même récents, que la plupart de ses fans « naturels » doivent complètement ignorer. Il est fort, le B2O, pour te rappeler que même sous une montagne de femmes à poil, de bouteilles de Whisky et de frimes, il connaît son rap et il sait ce qu’il fait.
Big up à Pone qui a produit ces sons qui m’ont marqué à jamais.