Jok’Air, des efforts et de l’amour
Interview

Jok’Air, des efforts et de l’amour

Alors que l’histoire de son groupe, la MZ, a pris fin en 2016, Jok’Air trace désormais sa route en solitaire. Son premier effort est un EP, Big Daddy Jok, qui pose les fondations de la deuxième carrière du rappeur, toujours épaulé par Davidson.

Photographies : Florent Schmidt

Abcdrduson : Sur l’EP Big Daddy Jok, deux valeurs semblent récurrentes, l’amour et le travail. Est-ce à travers ces deux notions que tu conçois la création artistique aujourd’hui ?

Jok’Air : C’est exactement ça, l’amour et le travail. C’est ce qui me permet de rester debout, ce qui me permet d’avancer. L’amour de mes proches surtout, et l’amour que je peux moi-même donner, tant que je peux en donner.

A : L’idée d’offrir le projet s’inscrit dans cette démarche de don ?

J : C’est surtout que je ne pouvais pas, moi, arriver aujourd’hui avec un projet payant, pour le peu de personnes qui me soutiennent, et pour la majorité qui va me découvrir en solo. Il y en a qui me connaissaient sous une autre étiquette, mais aujourd’hui je suis tout nouveau. Je ne pouvais pas arriver comme ça avec un projet payant.

A : L’amour que tu peux donner dans ta musique est destiné certes aux fans, mais aussi à ta famille, à ta maman, à Davidson, et à tes proches en général. Jok’Air n’est-il pas finalement une petite marque, à laquelle tu travailles pour cet ensemble, ce collectif ?

J : C’est ça, je travaille pour eux, comme eux travaillent pour moi, et ça roule comme ça. C’est surtout pour ma mère, comme disent les cainris, « I give it back ». L’idée c’est de lui rendre tout ce qu’elle m’a donné, et ça passe par la musique parce que c’est tout ce que je sais faire.

A : À la fin de l’aventure MZ et maintenant plus que jamais, tu es sorti d’une image je-m’en-foutiste, pour te diriger vers une étiquette de mec qui cravache, se lève le matin et fournit des efforts quotidiens. C’est un ressenti qui est juste ? 

J : Totalement, c’est réel. Je pense qu’avant j’étais un peu plus naïf, je me reposais un peu plus sur mes acquis. Je savais que Davidson faisait le boulot derrière et moi j’avais juste à chanter, alors qu’aujourd’hui je préfère vraiment les épauler, lui et Isma, son bras droit. Le jour où j’ai vu toute l’implication qu’ils mettaient pour nous, je me suis dit que je ne pouvais moi rester assis. Donc j’ai commencé à prendre des cours de chant par exemple.

A : On dit facilement de toi que tu as quelque chose d’une popstar, ou parfois une rockstar, et toi-même tu le dis…

J : [Il coupe] Non moi je ne le dis pas, je dis que c’est ce que j’aimerais être.

A : La différence entre la popstar et la rockstar, c’est que l’une sacrifie un peu sa liberté individuelle pour le travail, quand l’autre se laisse complètement aller, et écrit sa légende comme ça. N’aspirerais-tu pas plus à devenir une popstar pour le coup ?

J : Oui, c’est vrai, rockstar à vrai dire c’est un peu un mec comme j’étais avant, sans en être une. La popstar, c’est le boulot, l’acharnement. Tu vois toutes les popstars c’est ça, ce sont souvent des sacrifices, des plaisirs qu’il faut mettre de côté. Ce n’est pas facile.

A : Par la musique que tu fais actuellement, on entend sans difficulté que tu viens du rap, mais on sent que tu te diriges vers autre chose. Es-tu sûr de ta proposition artistique aujourd’hui ou te sens-tu encore sur une phase de test ?

J : Je me dirige vers quelque chose de nouveau, c’est un challenge que je m’impose. Je sais que ça ne va pas être facile pour beaucoup, mais les personnes les plus intelligentes, les plus prêtes musicalement, vont adhérer. Précédemment beaucoup d’artistes ont été dans cet entre-deux. Je pense à Maître Gims, à la Fouine à une époque. Après certains l’ont fait sur un morceau, là je pense à « Couleur Ebène » de Booba. Au bout d’un moment, tu es obligé de t’ouvrir, c’est le rap à vrai dire. Ça se nourrit de tous ces trucs et je pense que plein d’artistes basculent sans faire exprès vers un autre aspect musical, différent de ce qu’ils ont proposé avant. Il y a aussi Doc Gynéco, c’est le premier, c’est le numéro un dans ce truc. Je pense que toute la France s’est pris Première Consultation. Après, moi j’étais très jeune à l’époque, mais je me souviens de tubes qui passaient à la télé… Et quand quelques années plus tard je me suis penché sur l’album, je me suis dit « Ah oui ! » Des morceaux comme « Né ici » ou bien « Nirvana », ce sont des choses que mon père écoutait dans la voiture. C’était tellement ouvert qu’on écoutait ce mec-là sans savoir qu’il faisait partie du Secteur Ä. C’est terrible, c’est fort !

A : Sur le titre « Abdomen » tu cites Oxmo Puccino et K-Reen. Etant jeune, est-ce que les duos de rappeurs et de chanteuses te plaisaient particulièrement ?

J : Il y a eu Oxmo et K-Reen, il y a eu Wallen et Shurik’n avec « Celle qui a dit non », il y a eu Mystik et K-Reen avec « Le Fruit défendu »… Ça me plaisait de fou, il y a aussi eu « Avant de partir » de Booba [avec Leya Masry, NDLR], mais le plus gros tube fille-garçon pour moi c’est « Ma destinée » de Booba et Kayna Samet ! J’étais en primaire et il faut savoir que c’était un refrain que l’on chantait dans la cour de récré pour foutre la haine aux autres, genre quand t’avais quelque chose : « tu peux pas imiter, sois pas dégouté ! » quand on était petits c’était ça. [Rires]

A : Plus tard, l’apparition d’Auto-Tune dans le rap français a changé la donne, et on a moins fait appel à ces chanteuses.

J : C’est dommage ! Il y en a pas mal qui ont disparu… Pour moi la boss c’est Wallen. Wallen et K-Reen. Ce sont les reines incontestées du RnB français. Après, mettre l’une devant l’autre, je ne le ferais pas, mais je pense que les deux méritent leur couronne sur la tête.

A : Toi, tu t’es détaché des logiciels, Auto-Tune ou autre, ce qui donne un aspect plus organique à la musique, avec une place laissée aux petits accrocs voire à quelques fausses notes, mais qui rend peut-être le tout plus sincère. Est-ce quelque chose qui t’intéresse ?

J : C’est quelque chose qui est recherché. L’Auto-Tune, c’est un truc que je kiffe, mais ça me dénature beaucoup d’utiliser ce logiciel. C’est pour ça que j’ai préféré prendre des cours de chant. Parfois, mettre de l’Auto-Tune sur quelques notes, ça sonne mieux, mais pas sur toute la ligne, c’est dégueulasse, pour moi. Après sur d’autres artistes je trouve ça terrible, parlons du cas PNL : je leur tire un grand chapeau, à eux et à leur ingénieur du son. Je ne sais pas comment ils bossent la musique, tu sais que les voix sont surtraitées, mais ça défonce !

A : Puisque tu essayes d’avoir une voix naturelle, est-ce qu’à l’avenir tu aimerais aussi te diriger vers des musiques plus acoustiques ?

J : Oui, ça m’intéresse grave ! Je crois que c’est le but de tout artiste, de pouvoir faire ce truc en acoustique. Les plus grands, ceux qui nous ont bercés, ce sont des gens qui ont été capables de le faire.

A : Ne penses-tu pas que c’est aussi un élément qui fait basculer le regard que portent les médias généralistes sur un rappeur ?

J : Oui, après il ne s’agit pas de le faire pour eux. C’est le faire, et si eux, les grands médias s’y intéressent, c’est terrible.

A : Etait-ce un choix de ta part de faire appel à une chorale pour « La mélodie des quartiers pauvres » ?

J : C’est quelque chose dont Isma m’avait parlé, et j’avais trouvé ça terrible. On a fait le truc. Sur d’autres morceaux avant, comme « Il te fallait » j’avais fait appel à des saxophonistes par exemple. Si sur un morceau je peux appeler un artiste qui va apporter un plus, pourquoi pas ? Là, la chorale donne un truc de fou en plus !

A : Ce titre est sans doute le plus fort de l’EP, avais-tu conscience de sa puissance en l’enregistrant ? D’ailleurs des sous-titres en anglais sont intégrés au clip, c’est que vous le pensez exportable ?

J : J’en avais conscience avant même de l’enregistrer ! Comme je suis un mec qui n’écrit pas ses textes, ni sur papier ni sur mon téléphone, je les répète H24, je les fais en freestyle à mes proches. Et à chaque fois que je faisais celui-là, les gens étaient choqués par la manière d’interpréter la chose. Pour les sous-titres, le thème peut toucher le monde entier, il y a des quartiers, des barres HLM du même type en Lituanie, en Jamaïque… N’importe quelle personne qui écoute cette chanson, qui vient d’un quartier pauvre ou non, peut se reconnaître. Dans le monde entier. Et ce n’est pas le seul morceau, je crois qu’il y a pas mal de morceaux dont les thèmes sont assez universels, et qui seront sous-titrés.

A : Pour le titre « Indépendante », tu as invité la jeune chanteuse Debbie Sparrow, peux-tu nous parler de votre collaboration ?

J : Ça aussi c’est un morceau qui sera sous-titré en anglais je pense. On s’est connectés à partir d’un jeu que j’avais organisé sur Internet, où je faisais appel à une chanteuse. J’avais déjà le morceau, et l’idée c’est de mettre mes dires, mais du côté féminin en fait. Ce que je vis, une femme le vit, ce qu’un homme vit, une femme le vit aussi. Donc j’avais besoin d’une voix féminine, j’avais fait un jeu sur Internet, et j’étais tombé sur Debbie qui m’avait envoyé un Snap. Je la connaissais déjà par rapport à des sons qu’un pote m’avait fait écouter, et parmi tout ce que j’avais reçu, je trouvais plus facile de collaborer avec une personne qui avait déjà des bases musicales et pouvait interpréter plus facilement le morceau. On perd moins de temps en studio, puis vu qu’elle a déjà une image qu’elle entretient, c’est plus facile pour un clip.

A : Tu disais ne pas écrire tes textes, ça se fait naturellement ?

j : C’est grâce à Davidson, vu qu’il payait les heures de studio assez cher on n’avait pas le droit de venir perdre du temps dans la cabine. Lorsqu’on arrivait au studio, tout devait être prêt, il fallait avoir son son en tête. Et moi j’aime bien que l’on n’ait rien à me reprocher, quand j’arrive, je fais le boulot. Ça veut dire que tous les enseignements, tous les conseils qu’il m’a donnés, je les ai appliqués, et naturellement, au bout d’un moment je n’avais plus besoin de papier, j’écrivais mes morceaux dans ma tête, j’arrivais en cabine et on mettait moins de dix minutes à faire un son.

A : Et tu n’envisages pas de faire appel à des ghostwritters ?

J : Non, franchement je ne crache pas sur les artistes qui en utilisent, mais moi je ne pense pas en avoir besoin aujourd’hui. J’ai encore beaucoup de choses à donner ! Le jour où je n’aurais plus rien, peut-être que je ferai appel à des ghostwritters, mais là j’ai énormément à donner. Et par contre c’est avec plaisir que je peux travailler pour d’autres artistes, je l’ai déjà fait par le passé.

A : Tu n’as jamais caché ton admiration pour Mylène Farmer, que représente-t-elle de si fort à tes yeux ?

J : Ce qu’elle représente pour moi, c’est l’image que j’ai vue d’elle dans ses clips. Mylène Farmer c’est la liberté, je ne sais pas comment expliquer… C’est la liberté, et « je vous emmerde ! » Ça c’est mon truc.

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