Hi-Tek
Interview

Hi-Tek

Progressivement passé du succès d’estime avec Mood à Cincinnati, à une reconnaissance plus massive, Hi-Tek est également à l’origine de quelques unes des plus belles heures du label Rawkus, en solo ou en duo avec Talib Kweli. Une étape forcément clef dans une ascension qui l’a amené à rejoindre le vaisseau amiral Aftermath. De passage à Paris, nous avons pu l’interroger sur son parcours, celui d’un vrai « one man band soldier ».

et Photographie : Gustavimages

Abcdr : Depuis quand fais-tu officiellement partie de l’équipe de producteurs d’Aftermath ?

Hi-Tek: [hésitant]….ça remonte, en gros, à 2004.

A : Ça fait cinq ans maintenant, l’heure pour nous de faire un bilan. Quel regard portes-tu aujourd’hui sur cette expérience ?

H : Je considère que chaque jour qui passe permet d’apprendre quelque chose. Pour ce qui est de la musique, avoir la chance de bosser avec quelqu’un comme Dr. Dre, quelqu’un dont j’écoute la musique depuis que j’ai dix-huit ans, c’est déjà fabuleux. Et en plus qu’il apprécie ma musique jusqu’à me dire « Yo, Tek, tu défonces« , rien que ça, tu vois, ça m’a confirmé que je faisais quelque chose de bien. Tout ça m’a forcément été bénéfique.

A : Comment es-tu rentré en contact avec Dre ?

H : Je m’en souviens plus ! [rires] Il a dû tomber, parce que je ne sais quel moyen, sur une de mes tapes et a accroché à un des beats que j’allais donner à WC [NDLR : West Side Connection]. Le premier beat que j’ai vendu à Dre, bien avant de signer chez Aftermath, c’était celui qui a été utilisé pour le morceau ‘Hollywood’ qui figurait sur l’album de Truth Hurts. Dre rappe même sur ce morceau. On est parti sur de bonnes bases.

A : Quand j’ai écouté Train of thought en 2000, je me suis dit – et je le pense toujours – que ‘Some kind of wonderful’ était un clin d’œil au morceau de Dre ‘The Watcher’. Est-ce que c’était vraiment le cas ou j’ai complètement rêvé ?

H : Je vais pas te mentir, je pense qu’à l’époque j’étais très inspiré par The Chronic. Donc, ouais, dans un sens t’as peut-être raison. J’étais peut-être influencé par ce morceau, mais franchement il n’y avait rien d’intentionnel là-dedans.

A: Est-ce que tu considère que faire partie d’Aftermath a eu une influence sur ta façon de produire ?

H : Ouais, ça ne fait aucun doute. Pour moi, c’est comme jouer un rôle dans un film. Il faut que tu te fondes dans le personnage, que tu joues vraiment un rôle si tu veux obtenir un Oscar. Tu vois ce que je veux dire ? Tu vois certains acteurs, ils sont tellement à fond dans leurs rôles qu’à un moment ils ont du mal à en sortir et à redevenir eux-mêmes. Pour moi, quoi que tu fasses, tu dois te donner à 100%.

Un mec comme Will Smith quand il joue Ali, il a travaillé super dur pour ce rôle, si dur qu’à un moment il est devenu Mohammed Ali. Il lui a fallu du temps pour sortir de ce personnage et redevenir Will Smith. A mes yeux, l’essentiel c’est de faire du bon boulot.

A : Y’a-t-il des différences entre Hi-Tek le producteur solo et Hi-Tek un des chaînons de l’équipe de producteurs d’Aftermath ?

H : Non, il n’y a aucune différence, c’est exactement pareil. Je suis un producteur tout terrain. Tu sais, tu as pas mal de mecs qui se considèrent comme des producteurs et se présentent comme tels, mais en fait n’en sont pas. Ce sont juste des beatmakers, parfois très bons, mais ce ne sont pas de vrais producteurs.

A : Tes morceaux restent très personnels, même ceux que tu as sorti pour Aftermath. Comme celui que tu as fait pour The Game ‘Letter to the King’. Pour moi ce morceau c’est le Hi-Tek vintage : un beat relativement simple et une énorme ambiance dans une approche assez minimaliste. Je veux dire on a l’impression que tu n’as pas besoin de surproduire…

H : Hum… [il réfléchit pendant plusieurs secondes] Tu sais, tout ça, c’est juste…. Dieu, tu vois ce que je veux dire ? Je dis souvent aux producteurs et à ceux qui font des beats que parfois tout est dans la façon dont les différents sons peuvent être placés dans un morceau, la façon dont tu sens les choses et d’où tout ça vient, de ton cœur. Les sons que t’as entendu et pourquoi tu l’as fait. En tant que producteur, tu dois savoir ce qui est dépassé, ce qui a déjà été fait et si c’est le cas amener le truc encore plus haut. C’est comme ce que tu as dit pour ce morceau, ‘Somekind of wonderful’. Il te rappelle ‘The Watcher’ mais a toujours son propre truc. Je ne peux pas t’expliquer ça, c’est juste l’amour de la musique qui fait ressortir tout ça.

A : Comment ça se passe une journée chez Aftermath ? J’imagine que c’est pas tout à fait un truc du style 9h00-17h00 avec un café pour débuter la journée…

H : Non pas du tout, déjà tu sais la plupart du temps, que je bosse pour Aftermath ou pas, je suis à Cincinnati, à mon home-studio….

A : Je pensais que tu avais déménagé à Los Angeles…

H : J’ai vécu là-bas pendant un moment mais Dre aimait bien que je sois à Cincinnati. Tu sais des morceaux comme Letter to the King, Runnin’, je les ai fait à la maison. En fait, j’ai fait très peu de morceaux pour Aftermath de L.A.

La plupart des morceaux qui débordent d’émotions je les ai faits de mon studio. Tu sais, y’a pas mal de mecs qui sont dans l’entourage de Dre depuis des années mais ne placent jamais la moindre prod’ dans les sorties Aftermath. Ils ont été trop marqués par certains sons et je pense que Dre cherche avant tout des morceaux qui vont compléter son héritage et celui d’Aftermath, tout ça en restant original. Il veut pas entendre des trucs déjà vus. Si c’est trop le cas, il va se dire qu’il aurait pu le faire et probablement en bien mieux.

J’apprécie vraiment tout ce que Dre a fait pour moi. Il a fait beaucoup pour moi, et pas seulement d’un point de vue financier. Son expertise musicale et son souhait de m’intégrer à Aftermath ont fait de moi un meilleur producteur.

A : Est-ce qu’il y a un truc en particulier que Dr. Dre t’as appris et que tu as maintenant en tête quand tu fais un morceau ?

H : Ouais, je dirais qu’il m’a poussé à ne pas avoir peur de donner plus d’ampleur à ma musique. Si tu repenses à tout ce que Dre a pu faire, tout était d’une qualité incroyable. Tous les morceaux que j’ai entendus de sa part étaient pleinement aboutis. Je ne me suis jamais dit que tel truc ou tel autre truc aurait pu être ajouté. Et si tu rejoues un de ses morceaux dans vingt ans, ça va toujours sonner comme un gros classique.

Il m’a appris à ce que mes titres sonnent comme des classiques, sans avoir peur de bien bosser chacun des composants d’un morceau pour en faire ressortir toute sa musicalité. Tu sais, il y a des mecs qui se présentent comme des producteurs underground qui font des morceaux underground, mais ça n’existe pas ça. C’est juste de la connerie, et ça me gonfle [rires].

A : Comment une prod’ comme celle de ‘Letter to the King’ a fini sur l’album de Game ?

H : J’ai construit une vraie relation avec Game grâce à Dr. Dre. Si tu écoutes tous les morceaux que j’ai pu placer sur les albums de Game ils dégagent tous un truc similaire. C’est pas un hasard, Game il sait exactement ce qu’il veut, quel type de prod’ il veut que je lui donne. A partir de là, tu vois, on a commencé à construire un truc ensemble.

A : Quand tu fais des beats, tu ne te dis pas « celui-là, je pourrais le filer à tel mec ou à tel autre » ?

H : J’essaie…. en fait j’aimerais faire ça. Mais je ne peux faire ça que lorsque le morceau est bouclé. Ce morceau, ‘Letter to the King’, c’est vraiment une œuvre divine. J’bossais sur le morceau, et à trois heures du mat’ Game m’a passé un coup de fil. J’ai bouclé la prod’ quasi dans la foulée, j’étais du style « ça y est ! » Il voulait vraiment un titre qui sonne comme ‘Old English’ et ‘Runnin’’.

« Je pense que Dre cherche avant tout des morceaux qui vont compléter son héritage et celui d’Aftermath »

A : Tu as maintenant sorti trois volets de Hi-Teknology, quel regard tu portes aujourd’hui sur ces trois albums ? T’es content de ces sorties ?

H : En fait, je porte un regard assez différent sur chacune de ces sorties. Le premier c’est vraiment un projet que j’avais en tête depuis longtemps et j’en suis content. Le second c’est assez différent, je n’avais jamais prévu de le sortir mais j’avais tellement de morceaux de prêts et qui devaient sortir que j’ai décidé de les rassembler dans un même album. Pour le dernier, je voulais juste mettre un terme à mon contrat.

A: Ton contrat avec Babygrande, c’est ça ?

H : Ouais, le pire label au monde !

A: Ah oui, tant que ça ?

H : Ce mec Chuck Wilson il s’en fout de la musique. C’est juste un business man véreux.

A: Tu considères que Babygrande est un cimetière comme Koch Records? [NDLR : Référence à 50 Cent qui avait déclaré haut et fort que Koch Records était un cimetière à rappeurs]

H: C’est encore pire !

A: Babygrande c’est le genre de label par qui tu passes quand tu veux sortir un disque mais faut pas s’attendre à beaucoup plus…

H: Ouais, une fois que ton album est dans les bacs faut pas espérer quoi que ce soit de plus. Tu sais avec Rawkus on était en indé’ mais c’était autre chose. Rawkus me manque. J’apprécie vraiment ce qu’ils ont fait pour ma carrière. Ils étaient vraiment à fond dans la musique, pas juste là pour faire du fric. Ils nous aidaient pour les tournées, et essayaient de faire ce qu’ils pouvaient. Ils ont dépensé un paquet de fric et en même temps ils étaient sincères, ils adoraient le Hip-Hop. Ils voulaient que le Hip-Hop aille encore plus loin, et d’ailleurs ils y ont contribué. Ils ont vraiment ouvert une brèche pour des mecs comme moi.

Avec un label comme Babygrande, c’est autre chose. Les mecs ne sont pas vraiment dans la musique, ils ne suivent pas les carrières des artistes. Ils essaient juste de retirer ce qu’ils peuvent de ce business.

A : Une des différentes marquantes entre le premier Hi-Teknology et le second, c’est la place occupée – de plus en plus forte – par les musiciens. J’avais lu que tu avais bossé avec un groupe pour donner plus d’ampleur à ta musique, notamment pour un morceau comme ‘Josephine’.

H: Sur ce morceau, tu retrouves toute ma famille. Mon père, ma mère, mon oncle – il est mort il y a peu, repose en paix – ma sœur aussi. C’est un peu une Jam Session familiale [rires]. Toute ma famille a de vraies dispositions pour la musique. Toute cette Soul c’est nous. A Noël quand je rentre à la maison on va tous au studio et j’enregistre tout ce qu’on fait.

A:… et aujourd’hui tu passes le flambeau à ton fils qui était aussi sur Hi-Teknology vol.2. Quelle relation tu entretiens avec lui quand il s’agit de musique ? Tu lui apprends des trucs ?

H : Ouais ! C’est pas évident de vraiment lui apprendre des trucs, comme un prof’ peut le faire. Mon fils, il est juste là, dans le studio, il sent toute la passion que je peux avoir pour la musique, il écoute les morceaux que je produis et la réaction des auditeurs quand ils les écoutent. Il est empreint de tout ça. Tu sais, j’ai appris comme ça moi aussi. Mon père était également dans la musique et il ne m’a jamais forcé à en faire ni même vraiment appris comment faire. Pour revenir au deuxième volet de Hi-Teknology, à un moment mon fils m’a fait « Hey, papa je crois que j’ai un beat ! »

A : Donc c’est vrai cette histoire !

H : Ah oui, ça s’est vraiment passé comme ça. J’ai dû le recomposer en studio mais la base était là. Il était là avec son jouet, jusqu’au moment où il m’a dit « Papa, je crois que j’ai un beat« . Il avait quatre ans à l’époque. Il a joué son truc et ça ressemblait à un sample. Du coup je lui ai dit : « ça défonce mon bonhomme, c’est ton premier beat !« . Tu vois le simple fait qu’il fasse un truc comme ça, ça m’a confirmé qu’il écoutait bien ce que je pouvais faire.

A : Tu travailles en ce moment sur un nouveau Reflection Eternal avec Talib Kweli, tu peux nous en toucher deux mots ?

H: Bien sûr, on est à fond dedans en ce moment. La moitié de notre nouvel album est bouclé et on est reparti dans l’ambiance des morceaux qu’on pouvait faire à l’époque.

A: Bosser avec Kweli, que ce soit en studio ou sur scène, ça reste quelque chose de particulier pour toi ? Y’a un vrai esprit Reflection Eternal ?

H: Ouais, en fait Talib me permet vraiment de m’exprimer, d’être moi-même. La plupart des trucs que je fais pour Aftermath ou pour les autres, je fais ce qu’ils veulent. Quand on fait un truc avec Kweli, c’est vraiment ce qu’on veut tous les deux. Talib écoute mes conseils, il est très confiant sur ce que je fais. Il me laisse tenter des trucs, faire ce que je suis censé faire.

A : Tu es venu tout seul en France ?

H: Ouais, complètement seul !

A: Tu as des gens qui t’aident au quotidien ? Dans la sélection des beats ou qui te donnent des conseils, des trucs comme ça ?

H : Non, pas du tout, je bosse tout seul. Un vrai one man band ! [NDLR : Référence à Swizz Beatz, l’auto-proclamé One Man Band Man]

A : Tu rencontres des problèmes pour clearer tes samples ? 

H: On s’en occupe pour moi. Mais tu sais si ça ne tenait qu’à moi, je ne clearerais rien du tout ! [rires]

A: En France, on trouve aujourd’hui très peu de samples dans les grosses sorties. Les gens ne veulent plus perdre de thunes à cause des samples. La situation est pas un peu moins merdique aux U.S ?

H: Non, pas vraiment. Si tu bosses avec un mec qui maitrise bien son sujet, quelqu’un qui gère ça comme il faut, tu ne vas pas avoir de mauvaises surprises. La plupart du temps si tu bosses avec un mec qui ne sait pas comment clearer des samples, le mec que tu samples va prendre 50% de tes thunes. Et ça c’est valable pour tous les styles de musique. Donc ouais t’as intérêt à faire gaffe aux samples que t’utilises si tu veux prendre des sous.

A: T’as des nouvelles de Dion ? C’est un peu ton protégé…

H : Ouais, Dion est un mec super talentueux. Ca fait un an et demi, presque deux ans, qu’on entend plus parler de lui. Avant ça, je l’ai fait participer à tous mes projets. Je bossais sur son album, je l’ai fait signer sur Aftermath. Il a bossé avec Dre et il a un peu explosé après avoir fait autant de trucs.
Dion est vraiment un chanteur fabuleux. J’écoute beaucoup ses conseils et il m’a appris ce qu’un chanteur devait faire. Aujourd’hui, je ne sais pas trop où il est, j’imagine qu’il est dans ses petits projets.

A : Tu as fait parti d’un groupe à Cincinnati – Mood – puis d’un duo avec Talib Kweli – Reflection Eternal -, et également d’une équipe de producteurs avec Aftermath. Quels sont à tes yeux les différences qui peuvent exister entre ces trois approches ?

H : Dans tous les cas, ça m’a été bénéfique. Comme je t’ai dit, bosser avec Talib ça me permet de faire vraiment ce que je veux, et en plus il colle très bien avec mes prods. Quand je bosse avec d’autres mecs, je n’ai pas grand chose à dire sur ce qu’ils font, sur le thème de leurs morceaux, leurs rimes. Je les laisse faire leur truc.

A: Parmi tous les morceaux de Reflection Eternal, il y en a un qui me plaît particulièrement. Ce morceau c’est ‘Good mourning’. A mes yeux, ce titre c’est juste l’un des meilleurs morceaux de rap, tous genres confondus. T’as ressenti un truc spécial quand tu l’as entendu pour la première fois ?

H : [Très enthousiaste] Oh que oui ! Si tu ne l’avais pas encore remarqué, je parle à mes beats. Je rappe dessus, ces beats ils parlent, ils créent des atmosphères, des décors de films. Ce morceau, ‘Good mourning’, figure parmi ceux que je préfère, les rythmiques de batterie sont vraiment particulières. Peu de gens ont fait des trucs comme ça.

Fermer les commentaires

1 commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*

  • Gustav,

    Bonjour, serait il possible de me créditer pour la photo please  ?  ©gustavimages Merci
    Gustav