DJ Poska, mixtape maestro
Arnaud Fraisse avait dit des mixtapes de DJ Poska qu’elles « prenaient le pouls du rap français tout en tenant à jour la rue sur les nouveautés du rap US ». Entretien avec celui qui a relayé toutes les saveurs du rap sur bandes. Celle de la FM, et celles de cinquante mixtapes.
Il est de ces « métiers » qui vous placent à la fois au centre et à l’écart de tout. Le rappeur a inventé l’occupation du terrain, les DJs ont inventé la conquête du territoire. Comment imaginer le développement du rap en France sans ces dizaines de mixtapes bricolées dans la capitale et dupliquées par mille mains aux quatre coins de l’hexagone ? Parfois dans la lumière, souvent derrière les projecteurs, la fin du siècle dernier les a élevés au rang d’incontournables, le début de celui-ci les a rendus presque accessoires. Parmi ces porte-voix de la rue, DJ Poska. Désormais établi à New-York, il continue de construire des ponts entre les continents, les courants et les époques. Toute sa carrière, il aura renoncé à jouer des coudes, jusqu’en interview. Enthousiaste à l’évocation des bons moments, discret et décent dès que point la tentation d’égratigner un ancien compagnon de route. Entre classe et léger manque d’audace. Chercheur de pépites, diffuseur de classiques, il a été à sa façon et à lui seul un Abcdrduson. Rencontre avec un DJ qui a donné – du – goût au rap français.
J’ai été initié au hip-hop par Stéphane Larance, qui est un ami et l’un des premiers skaters professionnels français. Il faisait partie des Atomic Breakers. Il m’a fait écouter une cassette sur laquelle il y avait des sons de DJ Sek et aussi de Cash Money, qui avait remporté le championnat du monde DMC 1988. À l’époque, je suis aussi dans le graffiti, d’où le nom DJ Poska. Mais avec cette cassette, je tombe immédiatement dans les scratchs. J’ai écouté et réécouté ce set de Cash Money, et les scratchs m’attiraient, particulièrement le morceau de Cookie Crew sur lequel il faisait un pass-pass puis des scratchs. Ça m’avait juste rendu fou. J’ai douze ou treize ans, et je me mets à squatter les platines que mon frère a dans sa chambre, jusqu’à ce qu’il me dise de les prendre et de dégager car il en a marre. L’une de ses platines avait un pitch. De l’autre côté, j’allais tout le temps aux Puces et je rentrais avec des disques de funk, plus ceux de mes parents que j’empruntais. Au bout d’un moment, je décide d’enregistrer ce que je fais sur des cassettes. Je suis tout seul, dans ma chambre, je ne fais que ça. À quatorze ans, j’obtiens un scooter. Ça me fait ressortir un peu de ma chambre. Des potes, notamment de mon frère, ont aussi des scooters ou leurs premières bagnoles avec des autoradios. Ils commencent à squatter mes cassettes sur lesquelles j’enchaîne des morceaux de funk. Les cassettes se baladent dans le quartier et je ne les récupère jamais. En fait mes premières mixtapes c’est ça : des mix de funk faits dans ma chambre qui finissent dans les autoradios des scooters ou des premières bagnoles de mon entourage.
À seize ans, j’ai mon premier boulot. J’achète tout de suite mes propres platines, des Technics en bonne et due forme. Enfin, ma première platine, d’occasion. À l’époque, j’allais voir Dee Nasty mixer au Bataclan. Un jour, je réussis à monter sur scène pour me mettre à côté de lui et le regarder. C’est la seule personne à qui j’aie demandé un autographe. C’était plus qu’un autographe pour moi, c’était un porte-bonheur. Puis je rencontre Franck et Serge [alias Franky Montana et Tecnik, NDLR] via le tag que je pratique toujours à côté du scratch. Très vite on décide de fonder notre collectif : Funky Maestro. On était quatre à la base, il y avait aussi DJ Fuck, un mec de Noisy-le-Grand. On faisait des petites sessions chez son oncle, qui avait un sampler. Chez lui, je découvre ce que tu peux faire avec des samples. Tout s’est enchaîné très vite et très naturellement en fait. Avec Franky et Tecnik on décide d’acheter du matos et de se donner une discipline à base de rendez-vous réguliers pour faire de la musique ensemble, jusqu’à sortir la première mixtape en 1994. On le fait sans influence. Quand j’ai commencé à faire des mixes dans ma chambre, à part la première de Cut que j’ai écoutée quand elle est arrivée, je n’écoutais pas de mixtapes.
Ma première mixtape s’appelle Underground Mix. J’habitais dans un tout petit studio, ma meuf était enceinte. À ce moment-là, je travaille dans une société qui fait à la fois de la manutention et de la fabrication de cassettes. Lors de cette première mixtape, je suis encore côté manutention. Entre le boulot et le son, je ne dormais plus. J’étais collé devant mon meuble étagère où j’avais mis mon matos et je faisais mes mixtapes. Ce sont les autres de Funky Maestro qui un jour m’ont dit : « mais vas-y, il faut sortir une de tes mixtapes ! » On a fait en même temps la cassette de Lyr-X [Groupe de rap du collectif Funky Maestro, composé par ses membres, NDLR], avec l’intro que j’avais taffée, et le morceau avec K-Reen. On s’est dit que ça nous permettrait d’avoir une démo, pas qu’on allait les foutre en magasin pour les vendre. On réalisait les copies nous-mêmes. On donnait nos cassettes en soirée, à droite à gauche, et finalement on s’est décidé à chercher un magasin. C’est là qu’on atterrit chez LTD [Magasin de disques à Châtelet, rendez-vous de tous les DJs dans les années 90, NDLR] où Cut mettait déjà ses mixtapes en vente. On a fait deux cents exemplaires de l’Underground Mix, dupliqués à la main avec des pochettes faites au buvard. Deux mois après on a enchaîné avec une seconde mixtape. Ça a été le début des What’s the Flavor? Ensuite ça a été très vite.
On était déjà pas mal à faire des mixtapes l’air de rien. Cut, Clyde, DJ James, Cutee-B, etc. On se voyait tous à LTD où on mettait nos cassettes en vente. Plus tard j’ai bossé un peu là-bas, DJ James aussi et Franky Montana y a beaucoup travaillé. C’était un énorme atout d’avoir Franky là-bas. Tu vois toutes les nouveautés arriver, tu es en avance sur le rap américain, les bootlegs. À l’arrivage, on faisait déjà notre propre tri. C’était hyper stratégique comme endroit LTD. Tous les DJs gravitaient autour de la boutique. Les Parisiens ou ceux de passage sur Paris venaient, et ceux basés en province téléphonaient pour connaître les arrivages, demander des packs. Ça a donné quelques histoires à propos des vinyles, on était tous à bloc. [sourire]
Parallèlement, je change de poste au boulot. Je quitte la partie manutention de la société et bascule dans la manufacture de cassettes. J’y travaillais de nuit. Mon chef était un pote. Un jour, il me regarde et me demande pourquoi je ne duplique pas mes mixtapes ici. Je lui réponds que je ne veux pas le foutre dans la merde. Il me dit : « la prochaine, on la fait ici. » Du jour au lendemain, je suis arrivé chez LTD avec des cassettes en masse, cellophanées, des jaquettes imprimées, ce qui était super rare à l’époque. Les mecs m’ont regardé avec des grands yeux, genre « tu sors d’où toi ? » Le game a changé les gars, c’est comme ça que ça se passe ! [rires] Et du coup, j’ai rapatrié dans la boîte de mon pote la fabrication des mixtapes de tous les DJs. On s’est mis à faire tous les exemplaires des cassettes de Cut, Abdel, etc. J’ai ramené tous les clients. En fait, je travaillais là où étaient dupliquées les mixtapes de mes confrères. J’écoutais leurs masters, tu te doutes bien. Je savais déjà ce qu’ils allaient sortir. Eux ne savaient même pas ce que je faisais dans l’entreprise. Ils savaient juste que je travaillais là-bas. Mon poste consistait à gérer l’impression sur les cassettes. De son côté, mon pote faisait la mise en place des masters, le minutage. Au final, je me suis fait virer, pour d’autres raisons. Dès que j’ai pu, j’ai fait produire mes cassettes ailleurs jusqu’à ce que mon ami se barre aussi de la manufacture où l’on avait bossé ensemble. Il a monté sa propre société avec un pote à nous qui faisait nos jaquettes et avait sa boite d’imprimerie. C’était entre amis, et on leur ramenait du boulot. C’était de la bonne démerde, qui nous a permis de nous développer, de créer un studio et d’acheter du matos.
« Propager du son et faire danser les gens m’a vite plus attiré que le turntablism et la scratch music. »
Jusqu’à la What’s the Flavor? n° 15, on garde l’alternance entre tapes rap US et tapes R’n’B. J’écoutais plus de rap américain que de rap français. Aujourd’hui, on reparle beaucoup de la période Radio Nova, mais avant 1995/1996, il n’y avait pas encore assez de disques qui sortaient pour faire régulièrement des mixtapes de rap français. OK, il y avait NTM, IAM, les Little, et d’autres groupes qui apparaissaient. Mais ce n’était pas suffisant dans mon esprit. En plus, c’était compliqué d’avoir des drops de ces artistes-là [NTM a notamment refusé la plupart des mixtapes qui leur étaient proposées, quel que soit le DJ, NDLR]. J’adorais les Little au passage. Quand l’abum est sorti, j’ai trouvé ça incroyable. Les scratchs, les instrus… Je me souviens du morceau « Journée de fou » que j’ai fait tourner comme un malade. C’est au volume 15 que je commence à me dire que ça a du sens de faire un truc 100% français. Le premier album des Sages Po’ a servi de transition à l’époque. On commence à voir des gars comme Kery James, Busta Flex… Puis les sonorités de New-York ont marqué Paris qui s’est nourri de ça. La Cliqua et Time Bomb arrivaient. Très tôt, on a vu que Kery James était un phénomène. La première fois que je l’ai vu, j’étais au Neo avec James et Goldfingers. Le mec avait une prestance… Busta aussi, en freestyle, c’était un truc de ouf, il tuait toutes les scènes.
Le second tournant c’est le volume 20 des What’s the Flavor? où l’on décide de mettre des freestyles inédits de rappeurs français. On propose ça aux 2 Bal qu’on voit régulièrement. C’est aussi notre première jaquette sérigraphiée. On est les premiers à faire ça. C’est l’époque où le rap français bouillonne et offre désormais assez de matière. Avec Funky Maestro on a notre émission radio sur Générations qui crée des ponts, ça fait trois ans qu’on fait des mixtapes, et là on sent qu’on peut promouvoir le rap français comme on promouvait le rap américain. C’est ce qu’on a voulu faire avec la What’s the Flavor? n° 25, qui a été une organisation de malade. On a mis trois mois à la faire. Sur la 23 qui était la spéciale Time Bomb ou la 25, les enregistrements étaient mortels, même si je n’ai pas toujours pu être présent aux sessions, car j’étais parfois en soirée en province. Sur la 25, le dernier à faire son freestyle, c’est Ill. Il a plié tout le monde. Il est arrivé, a rappé son truc avec une aisance incroyable, et termine pile au même moment que l’instru. Tout en one shot et dès la première prise. Ça a retourné le studio. Le plus ouf, c’est qu’à la base, il ne se sentait pas trop de poser. Mais voir tout le monde rapper, ça l’a motivé : « vas-y je vais lâcher un petit truc quand même. » Quand il est sorti de la cabine, tout le monde lui a dit merci. Ill est quelqu’un avec qui j’aimerais retravailler et c’est l’un de ceux qui m’a le plus impressionné avec Zoxea.
Iron Sy, Jedi, Ali, Pit Baccardi & X-Men – Freestyle What’s the Flavor? n° 25
En 1996, je participe également à mon premier et unique championnat DMC. Je le fais en duo avec DJ Doze. On devait faire un pass-pass, chacun sur une platine en se partageant le cross-fader et finir avec un délire où on scratchait avec la tête. Mais le cross-fader a sauté durant notre set. Ça a un peu planté notre show d’avoir le cross-fader qui pète à ce moment-là. On a fini troisième malgré cela. Devant nous, il y avait quand même Pone et Damage, et devant tu as évidemment Crazy B.
Au départ, j’étais motivé pour faire des compétitions. Mais après avoir fait ce championnat, j’ai été déçu par l’envers du décor. Je n’y suis jamais revenu. Wilfrid [Wilfrid de Baise, organisateur historique des compétitions DMC en France, NDLR] est un gars bien, qui prend soin de son événement et de la marque qu’il représente. Mais l’univers du sponsoring prend beaucoup de place aux DMC. Ça m’a vite déplu, même si on en a aussi beaucoup profité en obtenant du matos. En même temps, c’était à nous de payer nos frais, nos voyages pour venir. Faire les DMC, ça avait un coût. À côté, je commençais déjà à me concentrer sur les soirées et un peu plus tard, je découvrirai la scène, notamment la tournée avec Oxmo et celle de Pit Baccardi. La partie technique du deejaying m’attirait toujours, mais ma priorité c’est d’abord de propager du son et faire danser les gens. Voilà pourquoi j’ai préféré faire des mixtapes et des soirées. Participer au DMC m’a appris à préparer un show, à trouver comment impressionner tes confrères, faire kiffer les gens. Mais la finalité des championnats et la place du sponsoring m’en ont rapidement éloigné. À l’inverse, les concerts et surtout les soirées, je n’ai jamais lâché. Mon but premier, c’est la relation avec le public. Sauf qu’évidemment, selon si c’est une soirée ou un concert, ce n’est pas le même contexte. Dans les deux cas, tu cherches à accrocher le public. Mais dans un concert, tu dois créer une connexion avec le public tout en laissant la place au MC, car c’est lui que les gens viennent voir, pas toi. Pour Oxmo comme pour Pit, ce sont en plus leurs premières tournées. Tu peux faire autant de répétitions que tu veux, il reste toujours une part de rodage qui ne peut passer que par les concerts, l’expérience.
Avec les mixtapes, les soirées puis plus tard les concerts, j’ai été principalement mis en avant dans Funky Maestro. J’étais le représentant du collectif aux yeux du public. Je n’ai jamais été tout à fait à l’aise avec ça. C’est quelque chose qui s’est fait naturellement, c’est la conséquence logique du succès des mixtapes. Et si tu veux que tes projets et ta musique existent, tu dois en passer par là, avoir un nom, une figure qui représente le collectif, les projets. Mais c’est vrai que Franck et Tecnik étaient plus dans l’ombre. Au départ, ils en ont même habilement joué, ils l’ont compris. Mais à un moment, ils ont aussi eu besoin de lumière, et c’est complètement normal. Mais moi, je n’étais pas à l’aise d’être la tête d’affiche. Pourtant, les débuts des mixtapes et de Funky Maestro, l’engouement qu’il y a eu autour, c’était un vrai moteur. On en faisait une tous les deux mois, puis une par mois. Je bouclais la sélection et le mix en une après-midi. Mais pour faire une bonne intro, je passais parfois une semaine. On vendait ça cinquante francs. Aujourd’hui, je vois des mecs sur des blogs qui partagent les mixtapes. Il n’y a pas si longtemps, un Allemand m’a contacté pour m’en acheter. Je me suis rendu compte après qu’il les mettait en ligne. Ça ne me dérange pas. La seule ironie, c’est que moi-même, je n’ai pas encore récupéré toutes mes mixtapes. Il m’en manque encore quelques-unes, mais j’y travaille ! [rires] On a tout sur DAT, mais les originales, je ne les ai pas encore toutes. Par contre, là j’ai en tête de numériser quelques cassettes mini-DV avec des trucs inédits. J’ai aussi quelques CDs qui traînent avec des morceaux qui, je pense, ne sont pas sur le net.
« Pour ma première compilation en major, on s’est retrouvé à devoir détruire quinze mille disques. »
Sur nos mixtapes, il y a eu des groupes qui n’étaient pas signés ou sans collectifs et avec lesquels on a voulu bosser en développement. La Yusiness par exemple. C’est un des danseurs des Wanted qui nous a connectés avec eux. Ils sont venus au studio de Funky Maestro, Franky Montana est devenu leur manager et on a décidé de les signer. On les a placés sur Hostile, sur Nouvelle Donne aussi. Finalement, ça n’a pas vraiment duré dans le temps. Ils ont quitté Funky Maestro puis ils se sont séparés. Je pense qu’on s’est mis à la production vachement tôt. Que ce soit avec John Gali, Endo, Smoker, c’est vrai qu’on n’a jamais réussi à faire décoller un artiste comme on l’aurait aimé. On n’avait pas encore les reins assez solides, je n’étais pas encore assez en place. J’en étais conscient, ou plutôt je le ressentais. À l’inverse, et c’est sûrement un peu cruel, il y a plein d’artistes qu’on n’a pas signés mais qu’on a aidés et qui ont pété. Et on n’en a peut-être pas assez profité, on n’a peut-être pas assez été chercher les featurings non plus. Producteur, c’est un métier, et je pense qu’on ne savait pas vraiment le faire. Chaque rappeur qu’on a pris avec nous, c’était vraiment un talent auquel on croyait, mais on n’était pas organisés pour ça. Ça demande du temps, de la disponibilité, et nous à Funky Maestro on était en mode locomotive. Pour ne parler que pour moi, entre les soirées, les mixtapes, les émissions radio, honnêtement, avec le recul, comment pouvais-je avoir la disponibilité d’un producteur alors que je ne m’arrêtais jamais ? En plus, beaucoup d’artistes qui sont signés dans des labels indépendants pensent que le label peut tout faire. Mais ça aussi c’est faux. Le label se doit de donner des moyens, trouver des pistes, aider, conseiller, promouvoir. Mais ça, pour le faire, il a besoin que l’artiste lui donne des cartes. Et ça, quel que soit le label, c’est quelque chose que les artistes oublient souvent. Tecnik, moi ou Franky, on était bons en studio, pour créer. Mais dans le collectif il manquait quelqu’un qui soit un producteur dans l’âme. Je pense même qu’on a signé trop d’artistes. On aurait dû commencer avec un seul pour ne pas avoir à se poser de questions de qui on pousse en premier. On n’était pas dans la stratégie, on était jeunes dans le business, parmi les premiers après toute la vague NTM et IAM. Je pense même qu’on a manqué de mentor. On a tout appris par nous-mêmes. Ça a été pareil pour tout le monde, Arsenal Records, Time Bomb, etc. Tous d’ailleurs, on n’a pas su exister dans la durée, grandir. On a laissé des putains de trucs, donc on s’est tout sauf planté. Mais on n’a pas su faire évoluer nos structures. C’est aussi relatif à la façon dont tu vis les choses. Quand j’avais seize ans, j’ai perdu un ami proche. On taguait ensemble et il est tombé entre le train et le quai. Il est mort sur le trajet de l’hôpital. J’étais encore à l’école et on était un peu les mecs de côté, qui taguaient partout, notamment au bahut qu’on avait retourné. À son enterrement, toute le bahut était là. Quand tu reviens en cours, cette histoire te suit, tout le monde en parle et c’est normal, c’est plutôt bienveillant. Mais c’est dur. Évidemment, ça a changé toute ma façon de percevoir la vie. Je me suis mis à la vivre en prenant ce qui m’était donné chaque jour. Ça s’est répercuté dans certains choix, notamment la façon de vivre ma passion.
Finalement, avec les mixtapes, on a réussi à avoir quasiment tout le rap français. La 25 et la 50 sont des exemplaires où on a voulu marquer le coup. Il n’y a que Booba et NTM qu’on n’a jamais eus. Ce sont des regrets. À côté de ça, on a pu faire plusieurs compilations en major. Cut avait quitté Universal pour Sony, et ils m’ont proposé de les rejoindre. Ça a été une chance, même si sur la première [What’s the Flavor?, NDLR] on devait avoir le clash entre Zoxea et Oxmo. Quelque part, c’est le premier clash de rap français. On avait enregistré ce morceau, tout le monde kiffait, on pensait avoir toutes les autorisations. On fait partir les disques en fabrication, on organise les précommandes, et là, on reçoit une lettre de IV My People qui nous dit qu’on n’a pas l’autorisation pour faire figurer Zoxea sur le disque. On a dû détruire les quinze mille exemplaires pressés, prêts à la vente. Première compilation, première signature en major, et quinze mille disques détruits. [rires] Ça, c’est un regret. Sur le coup, j’étais un peu vert. Mais j’ai pris du recul et je me suis dit que ça faisait partie du sport. Depuis je fais attention aux autorisations. [sourire]
Oxmo Puccino Vs. Zoxea – What’s the Flavor? French touch freestyle
Il n’empêche que c’est grâce à cette signature qu’on a pu faire de Funky Maestro une société à part entière. Funky Maestro avait le contrat de réalisation pour cette compilation, qu’ils voulaient faite comme nos mixtapes. Avec les maisons de disques, j’ai toujours travaillé au coup par coup. C’est pour ça qu’on a bossé avec trois majors différentes pour les compilations CD What’s the Flavor? On a aussi bossé avec Hostile sur le même modèle. Pour Nouvelle Donne, on était juste sur l’intro et les morceaux de Lyr-X et de Sully et Busta Flex. De mon côté, j’ai aussi fait R’n’B Connection. Il faut savoir que le R’n’B a toujours mieux marché que le rap. Pourtant, c’est le rap qui est toujours mis en avant. Même à l’époque des mixtapes, ce sont celles de R’n’B qui partaient le plus. Dans l’ensemble, on avait toujours carte blanche. Il est arrivé une fois qu’on m’impose un titre pour une compilation R’n’B Connection. Comme il ne rentrait pas dans le mix que j’avais fait, je l’ai mis à la fin.
Les compilations produites par des majors ne se passent évidemment pas comme une mixtape distribuée dans des magasins spécialisés. Quand on avait une compilation pour une major, avec Franck, on s’enfermait dans le studio et on passait tous nos vinyles en revue. On sélectionnait deux à trois cents morceaux et pour chacun on notait tout : le titre, le label, l’éditeur, tout. On envoyait notre liste aux majors. Eux envoyaient les demandes d’autorisation aux labels et ayant-droits concernés. En général, sur deux ou trois cents demandes, tu n’as qu’une quarantaine de validations et pas forcément celles auxquelles tu t’attends. Et toutes les autorisations ne sont pas les mêmes. Tu as par exemple des titres où tu ne dois pas couper l’intro. C’est pour ça que sur des compilations tu as des titres que tu fais repartir au début après ton enchaînement. Tu dois aussi souvent jouer autant de minutes minimum de tel titre. Pour les intros des mixes, là c’est le pire, du coup on ne demandait pas d’autorisations. Comment demander l’autorisation pour reprendre deux secondes et trois mots d’un morceau ? Une autre technique aussi, c’était d’aller chercher un morceau d’un gros artiste, mais qui est détenu par un label indépendant. Là, tu as plus de chances qu’on te dise oui. Le but étant de garder des titres réalisés par des grands noms et d’avoir des morceaux d’actualité. Les deux premières minutes d’une compilation, c’était super important. L’intro et le premier morceau sont des impératifs. Et dis-toi qu’aujourd’hui, on ne te parle plus des deux premières minutes essentielles pour accrocher les gens. On te parle des sept premières secondes ! [rires]
« Le marché parallèle de l’indépendance a disparu avec la fin des émissions spé’ sur Skyrock. C’est le moment où les majors et les radios ont vraiment pris le contrôle de tout. »
Ce qu’on cherchait à faire aussi sur nos mixtapes, c’était faire poser les rappeurs français sur des instrus américaines en laissant tout de même un couplet du rappeur américain en question, avant ou après le couplet en français. On proposait aux MCs les instrus des morceaux US qu’on avait sélectionnés. Dès que ça matchait, on prenait les mêmes instrus. On n’avait pas d’ordinateur, il fallait donc recoller les enregistrements de freestyles sur le mix. Sans même parler d’ordinateurs, les platines CDJ 1000 ont déjà été une révolution pour ça. On a pu graver les enregistrements des freestyles et c’était bien plus facile pour les mixer. On n’était plus dans le montage comme on l’était à l’époque. On produisait également pas mal, notamment Tecnik, bien sûr, mais je le faisais un peu aussi. Quand on a découvert le sampling au début des années quatre-vingt-dix et qu’on a compris ce qu’on pouvait faire, comme sampler séparément une grosse caisse, une caisse claire, un charleston et refaire un beat, c’était une révolution. Très vite, on a acheté un Roland W30. Les gens ont toujours retenu de moi que j’étais un DJ. Pourtant, j’ai été tôt dans le sampling et j’ai toujours fait du son. Après, c’est aussi que DJ, ce n’est pas le même boulot et ça me prenait du temps. Quand tu es DJ, tu écoutes tout ce qui vient de sortir, tu cherches à trouver des phases, tu cherches les disques pour faire des enchaînements. Ce n’est pas le même type de recherche que quand tu fais du son. Quand tu fais des beats, tu écoutes en cherchant des samples. Tu rentres dans un univers musical. J’apprécie beaucoup ça d’ailleurs : quand tu produis, tu te crées ta bulle.
Avoir Tecnik dans le crew m’a aussi permis d’apprendre plein de trucs. Il avait des années de batterie avec lui, je l’ai beaucoup regardé bosser. Ça m’a boosté. Ses choix de sons de batterie, sa façon de les jouer, j’ai beaucoup appris. Et puis c’était aussi l’ingénieur du son de Funky Maestro. Tout passait entre ses mains. Tecnik porte vraiment bien son nom. C’est quelqu’un qui connaît le matériel, les procédés, les fréquences. D’ailleurs, nous avons tous les deux eu une production sur Ceux qui le savent m’écoutent de Tandem. Ils avaient été invités sur nos projets, on se croisait sur des freestyles et on leur faisait écouter des sons. Mac Kregor a kiffé une de mes productions et a décidé de faire son solo dessus. Ils l’ont enregistré de leur côté, ils préparaient leur album et c’est devenu « Les maux. » Quand j’ai entendu le résultat final, je leur ai dit merci.
Tandem – Les maux
J’étais dans l’émission Couvre-Feu en plus du show What’s the Flavor? qu’on avait sur Générations. Le jour où ils nous ont proposé de faire l’émission tous les jours, c’était beaucoup de travail mais c’était incroyable. Franky Montana, moi et Tecnik, on a grandi en écoutant la radio. Donc en faire c’était génial. Quand ça s’est arrêté, ça nous a fait bizarre. Mais la direction de Générations changeait, et le délire et les nouveaux impératifs fixés à l’antenne ne nous convenaient plus. Quant à Couvre-Feu, ça faisait partie de ces émissions spécialisées cultes que Skyrock avait. Paradoxalement, on n’a jamais réussi à placer un morceau Funky Maestro sur Skyrock. « J’aime pas » de Diam’s et Sniper n’a effectivement pas été diffusé par exemple. Je ne sais pas pourquoi. Mais encore une fois je me suis dit que c’était le sport. De toute façon, on ne cherchait pas à faire de singles. Sniper et Diam’s, c’était une connexion qu’on avait envie de faire. C’est vrai qu’on nous a beaucoup parlé de ce morceau, mais Skyrock ne l’a pas retenu.
Plus tard, les émissions spé’ ont disparu de Skyrock. Pour moi, ça acte la fin du marché parallèle du rap indépendant. C’est le moment où les majors et les radios ont vraiment pris le contrôle de tout. Quelque part, ça a freiné le mouvement et le rap, je pense. Il n’y avait plus cette fenêtre. B.O.S.S, Bumrush ou nous, on jouait des trucs de toute la France, des labels indé’. Ça permettait de relayer des projets, d’aiguiller aussi les gens vers les shops, que ce soit à Urban Music à Paris ou un shop en province. La fin des émissions spécialisées, ce sont un peu les volets qui se sont fermés sur la seule fenêtre que les indépendants avaient pour être vus. Tout un réseau l’a pris dans la figure du jour au lendemain.
Avec Funky Maestro, on a fini par rompre. Ça a été assez sec entre Franck, Serge et moi. Il a fallu du temps pour que je reparle avec Franck. Aujourd’hui, on se parle de temps en temps et c’est cool. Par contre, avec Serge, on n’a pas encore réussi à dépasser le truc. Pour moi, ça n’est pas un imbroglio autour de l’album de John Gali ni de Big Broz Recordz [Structure qu’avait fondée Poska avec Cyril Allouche, NDLR]. Quand on a préparé ce disque, Tecnik avait déjà fait des prods. On lui a dit qu’il y avait certaines prods qu’on garderait, d’autres non, et on lui a envoyé son chèque. Moi je cherche à être réglo. Je garantis quand on passe par moi. Mes associés, je ne suis pas toujours sur leur dos, donc je garantis uniquement ce qui passe par moi.
Je suis ensuite parti m’installer à New York, plutôt pour des choix de vie personnels que pour la musique. J’y vis toujours. New York est une ville que je connaissais déjà pour y être allé très régulièrement. J’y allais à l’époque pour prendre de la vibe et pour le kif. Je ne pensais pas m’installer là-bas. J’avais travaillé avec des rappeurs américains, mais en France : Outsidaz, Lords of the Underground. Quand je me suis installé là-bas, je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison pour que je ne fasse pas là-bas ce que je faisais ici. Je cherche donc surtout à rencontrer les acteurs du hip-hop de là-bas avant même de me positionner comme un DJ de soirée ou quoi. J’ai fait quelques belles rencontres, Kool DJ Red Alert par exemple ou les Beatnuts. Sean Price aussi à Bushwick Radio. C’était quelques semaines avant son décès. Un grand respect à Sean P.
Dans la musique aujourd’hui, je suis à la fois seul et accompagné. À New York, je suis beaucoup en contact avec Akil. On a une émission ensemble à Bushwick Radio. À côté de ça, avec la structure It Boyz on pousse aujourd’hui le projet BlockBangerz. Ce sont les chroniques de New York réalisées par des MCs indé’ new-yorkais sur des beats de producteurs français. Le premier critère de sélection, c’est que je kiffe ce qu’ils font, qu’ils soient américains ou français. Sans vibe artistique, je ne peux pas y arriver. Le second critère de sélection, c’est que de m’entourer d’artistes qui sont aussi des bosseurs. Tous les rappeurs de Blockbangerz connaissent déjà la scène et sont actifs, même si ce n’est qu’à leur échelle. Ils ne sont pas dans une posture d’attente. Côté beatmakers, tu peux me retrouver aux côtés d’Akil, Frequency ou encore Shaabaaz.
DJ Poska ft. Frank Knight, Kola Rai - Passion of the Greatest
J’ai envie de faire un pont entre USA et France. Je sais que je ne suis pas le premier, mais je pense que souvent ça a été négligé, même si ces dernières années, les mecs d’Effiscienz par exemple sont opérationnels. Mais je ne veux pas me limiter à des collaborations sur disques, je veux que les uns et les autres puissent venir se faire connaître de chaque côté de l’Atlantique. Amener Sav Killz ou Aaron Cohen sur la scène du festival Hip Opsession, c’est typiquement ce qu’on cherche. Et même si pour l’instant on travaille avec des MCs américains sur des productions françaises, dans un second temps, on va inverser les places avec la même idée : ne pas être seulement une page Facebook et un Soundcloud, mais devenir un show et une rencontre. Les Américains ne connaissent pas beaucoup le rap français. Ils connaissent Booba, Solaar. Ils connaissent ceux qui sont dans les grosses télé. J’essaie de faire écouter du son. C’est une histoire de vibe puisqu’ils ne parlent pas français. Ils sont assez curieux d’ailleurs de savoir ce que nos rappeurs racontent. Et généralement, ils sont assez étonnés, en bien, par ce que je leur fais écouter.
Je suis bien là-bas, mais je n’ai pas déconnecté avec la France où je reviens régulièrement et où je trouve qu’il se repasse des trucs niveau rap et hip-hop. Quand je suis parti de France, la scène indépendante était disloquée, notamment par l’arrêt des émissions spécialisées dont je te parlais tout à l’heure. Tout le monde était reparti faire les choses dans son coin. Quand les majors et les radios ont définitivement pris le contrôle, aucun de nous ne s’est dit : on va en discuter ensemble et s’organiser pour faire autrement. À côté de ça, je pense que les DJs ont aussi perdu de la valeur sur le réseau. Pas sur le marché mais sur le réseau hip-hop. Avant on se connaissait tous et on était accessibles par l’intermédiaire de la radio. On avait des créneaux où on pouvait jouer des faces B, et aucun de nous ne s’en privait, tout simplement parce que les DJs ont toujours considéré les faces B comme le meilleur morceau. La face A d’un maxi, c’était le single, le morceau qui cherchait à rentrer en playlist. Mais la face B, c’était souvent le trésor. Nous DJs, on se retrouvait tous autour des mêmes morceaux, très souvent les faces B des productions indépendantes. Le réseau indépendant et spé’ bénéficiait de ça. Tu pouvais retrouver Mo’vez Lang et L’Armée des 12 sur la même mixtape ou la même émission. Quand on recevait les disques, on relayait les morceaux qu’on kiffait. On était une entité en fait, on était les DJs, ceux qui rendaient crédibles des morceaux en les propulsant à la radio ou dans des mixtapes. Qui d’autres que nous DJs diffusaient les faces B ou les classiques du gouffre ?
Aujourd’hui, nous ne sommes plus cette entité, on a perdu cette force-là. Les mecs envoient désormais leurs sons à des blogs, les mettent sur Soundcloud. Côté DJ on n’a plus les émissions spé et Internet a effectivement tout changé. En fait les artistes se disent qu’ils n’ont plus besoin de nous. Mais pour moi, le DJ, c’est bien celui qui peut relayer des sons et les rendre encore plus crédibles. Avec nous et les émissions spécialisées, les artistes savaient qu’ils n’avaient pas besoin d’essayer de faire douze singles sur un album de douze pistes, car on était là pour relayer les autres titres de qualité, que leurs singles marchent ou pas. Ce qui serait bien, c’est que nous DJs puissions être davantage connectés, qu’on soit un réseau qui d’un même clic peut pousser un disque ou un album. Je pense qu’on pourrait encore estampiller des projets qui le méritent comme on le faisait avant. Aujourd’hui, plus personne ne dit : « putain, t’as entendu le son qu’a envoyé Poska hier ? » ni « ça c’est le dernier son que kiffe Cut Killer. » Et à l’inverse, un DJ n’a plus non plus besoin d’un rappeur pour exister aujourd’hui. Il n’y a plus vraiment de lieu où tout le monde se rencontre aujourd’hui, un endroit comme LTD ou Générations. Le seul endroit qui reste, c’est le net. Mais le net, tu es chez toi. Voilà aussi pourquoi je veux vraiment créer un échange avec Blockbangerz. Comme tous les DJs, j’ai commencé à faire du son dans ma chambre. Mais si Cut Killer, James, moi ou n’importe qui d’autre n’étions pas sortis de notre chambre, ça ne se serait jamais passé de la même manière.
l’abcdr qui commence une interview (pourtant excellente) en citant arnaud fraisse comme l’Évangile, vous commencez à me faire peur les gars.