Youssoupha : « J’ai toujours voulu faire du rap français décomplexé »
Avec Sur les chemins du retour, Youssoupha s’apprête à affronter l’étape difficile du deuxième album. L’occasion pour nous de nous entretenir avec lui sur ce nouveau projet mais de revenir également sur ses débuts avec le Ménage à 3, son premier street-CD, son expérience chez Popstars ou la féroce polémique qui l’a opposé à Eric Zemmour.
Abcdr du Son : Ton père Tabu Ley Rochereau était un musicien très connu dans les années 70. As-tu été bercé dans la musique et su très tôt que tu en ferais ton métier ?
Youssoupha : S’il devait y avoir un rapport artistique entre mon père et moi, il ne pourrait qu’être dû aux lois de la génétique. Même si je le croisais de temps en temps, je n’ai pas grandi avec mon père, mes parents se sont séparés quand je n’étais même pas encore en maternelle. On ne peut pas dire qu’il m’a transmis quelque chose. Malgré tout, c’était vraiment un amoureux de la musique et je pense qu’il doit se passer quelque chose de génétique. Même si je ne pourrai pas faire le tiers du quart du dixième de ce qu’il a fait parce que c’était un artiste vraiment reconnu et qui a marqué la variété africaine, j’ai cette même passion. Je ne vois pas d’autre explication que les lois de la génétique.
A : Comment es-tu venu au rap ? Quels sont les premiers albums qui t’ont marqué ?
Y : Le rap n’est pas la musique avec laquelle j’ai grandi, bien au contraire. J’ai grandi à Kinshasa dans les années 80 et le rap n’y était pas très bien relayé. Quand je suis arrivé en France vers 9-10 ans, j’écoutais surtout la musique du bled et Michael Jackson. Le rap est venu après. Comme tous mes potes de Cergy, je regardais la télé et les premiers trucs qu’on voyait c’était Vanilla Ice, MC Hammer etc. D’où ma punchline sur ‘A force de le dire’ quand je dis « J’fais pas le gangster, ça c’est véridique, notre génération a trouvé le rap français à travers Benny B« . Il y a beaucoup plus de rappeurs qui ont connu le rap à travers Benny B qu’il semble y en avoir. Personne n’en parle jamais, comme s’il n’avait jamais existé, alors que je me souviens que les jeunes de mon âge écoutaient tous ça. Aujourd’hui, il n’en reste rien et ça fait peut-être partie des complexes du rap français. Je ne dis pas qu’il n’y avait que ça mais à l’époque j’écoutais aussi bien Benny B que NTM. Je passais de « Qu’est ce qu’on fait maintenant ? » à « C’est clair, t’as le toucher nique ta mère« . Je ne cherchais pas à hiérarchiser les rappeurs et à déterminer qui était vrai et qui ne l’était pas. Après effectivement, on s’est davantage posé la question quand des groupes comme NTM et IAM ont recadré les choses et que le rap s’est diversifié avec Solaar, Rapline etc. Ensuite, on est passé à un rap plus consistant.
A : Tu parlais de cette musique du bled. Tu peux en dire plus sur ces artistes que tu écoutais et que tu as découvert à Kinshasa ?
Y : Quand j’étais petit, les gens me parlaient tout le temps de mon père qui était déjà une grande star. S’il fallait le comparer à un artiste de la chanson française, ce serait une sorte de Aznavour. J’avais un grand respect pour mon père mais je suivais davantage les gens de la nouvelle génération, l’équivalent de personnes comme Christophe Maé aujourd’hui. J’aimais des groupes comme Zaiko Langa Langa, Kofi Olomidé, Papa Wemba… Bien sûr, j’avais aussi un grand respect pour les anciens et des gens comme mon père, Franco, Simaro… Sans chauvinisme, je pense vraiment que la musique zaïroise reste une des plus riches d’Afrique. D’ailleurs tout le monde le sait. Les gens qui connaissent mieux les disques de mon père que moi sont des mélomanes du Cameroun, du Tchad, d’Afrique du Sud… Je rencontre des gens du bled qui n’en ont rien à foutre de mes clips qui passent à la télé. Pour eux, je suis le fils de Tabu Ley [Rires]. C’est vraiment cette musique qui m’a nourri.
A : Comment s’est faite la connexion avec le Ménage à 3 ?
Y : Par des connections familiales, j’ai connu Philo qui était du groupe Ad Hoc – 1. Sans être mon groupe préféré, le Ménage à 3 faisait partie des gens que j’appréciais vraiment. Je ne connaissais Philo que depuis une quinzaine de jours et il me dit « Je suis en studio avec les autres et on pose un morceau pour Sachons dire non. Viens voir comment ça se passe. Tu sais comment ça marche de toute façon ?« . Moi : « Ouais ouais, bien sûr !« , alors que je n’en avais absolument aucune idée.
J’arrive dans le studio et je vois les 2Bal qui passent, Monsieur R… J’avais tellement de choses à leur dire mais, pour garder la face, j’essayais de me tenir. A l’époque, j’avais déménagé de Cergy pour aller à Sartrouville où Monsieur R était venu en concert. Je me souviens, j’étais au premier rang et je connaissais toutes ses chansons par cœur. Quand je lui ai dit bonjour, j’ai même pensé qu’il allait peut-être me reconnaître. Ils étaient entrain de poser ‘Front contre front’. Philo dit à R : « Le petit qui est là, il rappe. D’ailleurs il va poser« . Monsieur R répond « Ah bon ? J’ai rien contre mais on est nombreux sur le morceau, c’est tendu« . Philo fait : « Moi je dois faire un 16 ? Bon, je lui laisse quatre mesures. » Putain, il ne m’a pas demandé mon avis [Rires]. J’ai fait mes quatre mesures… et franchement, je me suis chié dessus comme c’est pas possible.
Ceci dit, j’étais en promo avec D.O.C hier et il m’a dit « J’ai réécouté Sachons dire non, putain t’avais posé à l’époque et je ne m’en souvenais plus ! D’ailleurs, t’avais une toute petite voix, on sentait que tu tremblais » [Rires]. Par contre, même si je ne me souviens pas exactement des paroles, j’ai l’impression que ces quatre mesures résumaient déjà le discours que j’ai aujourd’hui. D’ailleurs, D.O.C m’a remémoré d’autres souvenirs : à l’époque, j’ai commencé à traîner plus souvent en studio avec eux alors que j’étais encore au lycée en classe de lettres. Souvent, ils me demandaient des conseils pour leurs textes : « Youss, ça se dit « ils croivent« ?« . Je ne m’en souvenais pas. En tout cas, le premier studio a été le pied à l’étrier.
A : Tu disais que tu avais un côté « fan de rap français » très assumé et c’est quelque chose de perceptible dans tes textes. Quand tu invites Kool Shen sur ‘Le monde est à vendre’ ou que tu rappes ‘Demain c’est loin’ avec IAM, c’est une forme de consécration pour toi ?
Y : Je ne sais pas si on peut parler de consécration ou de rêvé réalisé mais… [il réflechit] ça n’est pas immérité en fait. Je suis fier de pouvoir côtoyer ces gens là autrement que si j’avais gagné un concours ou que je les croisais dans la rue. Ces gens-là me connaissent et me reconnaissent. IAM m’a scratché sur Saison 5 et c’est Eric Chevet, leur mixer, qui m’a annoncé la nouvelle. Moi, je ne voulais pas y croire. C’était la même chose quand je faisais les répétitions de ‘Demain c’est loin’ à l’Olympia avec Akhenaton, Shurik’n, Kery James et Oxmo Puccino. Shurik’n me disait « Est-ce que ça ne te dérange pas si tu fais plus ça de cette manière ? » et je lui répondais « Mais ne me parle pas comme si j’étais un alter-ego !« . A chaque fois, ils étaient morts de rire parce que je leur disais qu’ils avaient introduit un fan parmi eux sans le savoir. « Je ne suis pas votre collègue, je suis un fan et je peux tout faire capoter« [Rires].
Jusqu’aujourd’hui, mes potes me chambrent par rapport à L’année du Hip Hop en me disant que ça se voyait trop que j’étais aux anges. C’est normal que je sois aux anges vu que j’ai dû écouter ‘Demain c’est loin’ 120 000 fois. D’ailleurs, ils ont voulu me donner les paroles du morceau… « Mais remballe tes paroles, je les connais par cœur ! »
Ce week-end, j’étais à Saint-Étienne pour un concert et il y avait une très belle affiche : Rocca, Dany Dan, Sefyu, Disiz, Busta Flex et Oxmo. J’ai fait le voyage retour avec Rocca et il m’a raconté des anecdotes relatives à la Cliqua, aux disques que j’écoutais… C’était un truc de malade. C’est génial de pouvoir être reconnu par ces gars là aujourd’hui. On m’a dit que, dans une interview, IAM avait dit « L’avenir du rap français, c’est Youssoupha« . C’est juste énorme. Je n’ai absolument pas honte de mon côté « fan de rap français ». C’est peut-être dû à mes valeurs africaines mais le droit d’ainesse m’est très cher. Il y a une hiérarchie qui fait que des mecs comme Oxmo, Kery James, Akhenaton, Rocca, le Ménage à 3, Kool Shen sont intouchables. Après, je suis un performer et si je pose avec l’un d’entre eux, j’essaierai toujours d’être plus fort qu’eux. Mais, ils restent au-dessus, peu importe ce que j’accomplirai dans le rap français. Parce que ces mecs là m’ont appris à écrire, ma réussite est aussi la leur.
« Je n’ai absolument pas honte de mon côté « fan de rap français ». C’est peut-être dû à mes valeurs africaines mais le droit d’ainesse m’est très cher. »
A : Quel regard portes-tu rétrospectivement sur ton premier street-CD « Eternel recommencement » ?
Y : Ça me ramène à une époque assez belle. La plupart des gens ne savent pas que ce street-cd n’est même pas mixé et que c’est un bric-à-brac de dernière minute. C’est quand on était en train de masteriser que ‘Anti-Vénus’ a été posé. Au moment où je dis « pétasse » dans le morceau, tout le monde était mort de rire dans le studio. Ce passage, je l’ai repris une vingtaine de fois en changeant d’insulte à chaque fois. J’ai tout fait : « grognasse« , « salope« … [Rires]. A chaque fois, j’en disais une nouvelle au moment du break.
C’est un projet spontané qui a été fait à un moment où je n’attendais plus rien du rap. Je voulais juste laisser une modeste trace. J’ai eu de la chance parce qu’un nouveau format venait d’apparaître avec le street-CD et ça permettait de faire découvrir des artistes de ma génération sur un format autre qu’un album. Ça faisait office de carte de visite et ça avait du crédit à l’époque. Il y a toute une génération de rappeurs qui s’est fait connaître grâce à ça : Keny Arkana, Sefyu, Sinik, Kennedy, Al Peco… Je trouve en revanche que la magie s’est un petit peu perdue depuis. Aujourd’hui, c’est un petit peu tout et n’importe quoi et les streets-CD ressemblent à des albums non assumés parce qu’ils ne sortent pas en major. J’ai eu de la chance d’arriver à un bon moment. Après, certains me disent que mon street-CD est un classique. Tant mieux mais ça n’était pas préparé pour. Ensuite, tout ce qui s’est passé avec ‘Éternel recommencement’ est une jolie histoire et c’est le début de l’aventure.
A : Je trouvais que tu arrivais avec quelque chose de réellement différent dans le discours notamment avec tout ce vécu « blédard devenu banlieusard ». Tu étais conscient de cette différence par rapport au reste du rap français ?
Y : Mon principe de base a toujours été de me dire qu’à partir du moment où je serai authentique, je serai forcément original. Parce que ma vie ne ressemble pas à celles de Rohff, de Booba, de Sinik, de Kool Shen, du Saian Supa Crew, d’Oxmo… Je savais que je serais original vu que je voulais faire du Youssoupha. Obligatoirement, ça serait inédit.
J’ai fait un morceau comme ‘Apologie de la rue’ et, effectivement, les gens ont été étonnés de voir un rappeur qui disait qu’il fallait arrêter de glorifier la rue. Moi, j’ai toujours voulu faire du rap français décomplexé. Le rap français est encore habité par trop de complexes. Quand j’ai fait ‘Anti-Vénus’, on me disait que je ne pouvais pas faire un titre dans lequel j’aurais le rôle du cocu. « Imagine, ça veut dire qu’on baise ta femme !« . Je leur répondais que ça n’était que de la musique et, en plus, ce sont des choses qui arrivent dans la vie et ça peut toucher des gens. Le clip de ‘Babylone Zoo’ était un peu marrant avec des effets dessin animé. « Mais tu ne peux pas faire un truc comme ça, c’est pas caillera« . ‘Éternel recommencement’ ? « C’est trop long et les gens ont envie que tu leur parles de rue« . Avec Bana Kin, on a fait un morceau qui s’appelle ‘Post scriptum’ sur une guitare sèche : « Tu ne peux pas chanter sur un truc acoustique, ça fait variété !« .
A : C’est ton entourage qui tient ce discours ?
Y : Oui, dans mon entourage, il peut y avoir des gens qui nourrissent les complexes du rap français. Mais on va dire que je suis entre trois cultures. La culture française puisque je vis en France, la culture africaine puisque j’en viens et la culture américaine que je regarde beaucoup. Les Américains et les Africains sont des gens décomplexés qui, dans leur art, tentent beaucoup de choses. Dans le rap français, il y a beaucoup trop d’interdits. On m’a même reproché de danser sur scène sous prétexte qu’un rappeur ne devrait pas bouger et tenir une certaine posture. Je ne sais pas, ils ont dû voir Lunatic sur scène et ils sont restés sur cette image. J’adore Lunatic sur disque mais sur scène… Je me rappelle que j’avais pris ma place à l’Élysée Montmartre en avance, j’y suis allé et je ne me suis pas amusé.
Je suis d’ailleurs en train de préparer un morceau pour mon prochain album qui reviendra sur tous ces complexes. Comme je dis dans ‘L’effet papillon’, comment peut-on dire « Fuck les States » ? C’est comme ceux qui te disent qu’il ne faut pas changer et qu’il faut rester en bas de ton bâtiment. D’ailleurs, j’aime beaucoup le morceau ‘J’ai changé’ de Disiz. Tu veux rester toute ta vie en bas de ton bâtiment, y élever ton enfant, ne pas évoluer ?
Je voulais arriver avec ce discours décomplexé. Je fais ce que je veux, quand je veux et sans rendre de comptes. Je disais dans ‘La rage en featuring’ « Si un lascar ne pleure pas alors j’veux pas être un lascar« . Jusqu’aujourd’hui, je me bats encore contre énormément de clichés présents dans le rap français. Il y a aussi tout un problème vis-à-vis de l’argent et de la réussite. Certains vont reprocher à Booba de se la péter parce qu’il a une Bentley. S’il gagne de l’argent, pourquoi devrait-il se priver ?
A : ‘Éternel recommencement’ est un titre qui t’a pas mal porté. Tu le vois comme une chance ou un fardeau ?
Y : On m’en parle encore très souvent. Je ne vais pas bouder mon plaisir parce que ça reste une chance. Quand tu vois le nombre de rappeurs qui travaillent et qui essayent de percer, j’ai quand même fait un morceau qui a été un déclencheur pour ma modeste carrière. Après, je comprends le sens de ta question puisque les gens me demandent souvent de le reproduire. A un moment, je me suis dit que ça ne servait à rien de courir après la reproduction de ce morceau. Il est unique avec ses qualités et ses défauts qui lui donnent son charme. Je ferai d’autres morceaux et je suis persuadé, qu’avec le temps, j’aurai d’autres classiques. J’ai le temps et j’ai eu le temps d’en faire d’autres. Je suis persuadé que des titres comme ‘Les apparences nous mentent’ ou aujourd’hui ‘L’effet papillon’ deviendront des classiques. Maintenant que que ces morceaux sont passés par là, je me rends compte que les gens me parlent beaucoup moins d »Éternel recommencement’. Ça montre aussi que j’ai peut-être su relever le défi et faire d’autres gros titres de rap français. Je pense que c’était la meilleure manière de décrocher de cette « Éternel recommencement-dépendance » même si ce morceau reste une chance.
A : « J’aimerais écrire sur les belles blondes mais putain je viens du tiers-monde ». Pour toi, le rap est forcément quelque chose de revendicatif ?
Y : Quand j’ai écrit cette phase, c’était en référence à un reportage que j’avais vu et qui traitait des événements en Algérie. L’invité était un dessinateur satirique qui faisait des caricatures dans les journaux. Il parlait de ce qui s’est passé en Algérie, du GIA, des attentats et de la tension politique. C’était l’époque où Lounes Matoub avait été tué et tous les « intellectuels » recevaient des menaces de mort. Au début de l’interview, il était sympa, plutôt drôle et au fur et à mesure qu’il parlait de son pays et de sa situation, on sentait qu’il était touché. Je ne sais plus pourquoi mais à un moment il a dit « Bien sûr que je risque ma vie en faisant ces caricatures. On aimerait tous dessiner des fleurs, des gens avec le sourire, des jolies femmes. De toute façon, si je parle de la situation, je meurs, si je n’en parle pas, je meurs. » Sa colère m’avait ému. C’est à mettre en parallèle avec la phrase de Squat que Calbo avait reprise : « Qui prétend faire du rap sans prendre position ?« . Je suis pour toutes les formes de rap. J’aime le rap dans lequel on va trouver Diam’s, Abd al Malik, Saian Supa Crew, Youssoupha etc. J’aime que le rap soit varié. Mais le dénominateur commun c’est qu’on représente les gens qui sont sous-représentées sur le plan médiatique et politique. On a un micro devant la bouche et on a des responsabilités. Si tu ne veux pas assumer ce rôle-là, il faut faire autre chose que du rap. C’est pour moi la particularité du rap que de garder une dimension politique et sociale qui lui est intrinsèque. Même quand on fait des trucs plus légers, on est obligé de porter un discours et de représenter des gens qui n’ont pas de tribune pour s’exprimer.
A : On a le sentiment que le 21 avril a vraiment été une date butoir chez toi. Tu en parlais dans ‘Éternel recommencement’ et tu en reparles dans ‘Apprentissage’ sur le nouvel album. Est-ce que ça a modifié ta façon de penser et de te situer dans ce pays ?
Y : Ma désillusion par rapport à la France a commencé le jour où j’ai rejoint ma tante ici. Je voyais ce pays comme un eldorado qui allait forcément améliorer notre manière de vivre. Ma tante est venue me chercher à Roissy et elle m’a accompagné dans le foyer dans lequel elle vivait avec ses quatre enfants. Quand j’ai vu les conditions dans lesquelles les gens vivaient dans ce foyer à Osny, j’ai réalisé que la France pouvait être un merveilleux pays, mais qui décidait dans le même temps de ghettoïser certaines personnes. Si tu vas voir les enfants de Dominique de Villepin ou de Jean-François Copé, ils te diront que la France est un très beau pays dans lequel il fait très bon vivre. Et ils auront raison. La culture française, la gastronomie française, l’histoire de ce pays… C’est génial ! Sauf que je ne peux pas dire à quelqu’un de la Courneuve que la France est géniale. C’est ça mon problème. Arrêtons de ghettoïser les gens et partageons les richesses de ce pays. Le collège Romain Rolland que je fréquentais à Sartrouville était pourri. Ensuite, j’ai eu la chance d’étudier à la Sorbonne. C’était très bien. Pourquoi tout le monde n’étudie pas dans des établissements de l’acabit de la Sorbonne ?
Cette désillusion a commencé comme ça et a été entérinée le 21 avril. Je suis arrivé en France en 88-89 mais le mois d’avril 2002 a été déterminant. Ça m’a autant marqué parce que c’est la première fois de ma vie que je votais. Je me souviens qu’il faisait super beau ce jour là, j’avais envie de prendre mes responsabilités, j’avais l’impression d’arriver réellement dans la vie citoyenne… Quand j’ai quitté le Zaïre, c’était une dictature. J’arrive en France et je vois que le vote est libre. Il n’y a pas de militaires ou de policiers qui te mettent la pression. Malgré ça, c’est le résultat que tout le monde connaît qui est sorti. C’est ce que je dis dans ‘Éternel recommencement’. On n’oblige personne à voter. Pourquoi tout le monde s’émeut finalement de ce résultat ? C’est le choix du peuple ! Je me suis dit qu’il y avait une refonte totale à faire et que certains citoyens avaient encore le besoin de catégoriser des gens. Je suis absolument contre toute forme de communautarisme. Je suis pour le mélange des gens. Quand je suis arrivé à Cergy, j’étais dans un quartier composé exclusivement de noirs. A Sartrouville, c’était un quartier d’arabes. A Créteil, il n’y avait que des juifs dans le quartier que j’habitais. Quand je suis allé à la fac, j’étais dans une résidence universitaire dans le VIème où il n’y avait que des blancs. Comment veux-tu connaître les autres si tu n’as pas la possibilité de partager avec eux ?
En allant à la fac, j’ai vu des gens qui rencontraient un banlieusard pour la première fois. Moi je rencontrais des gens qui ne venaient pas de quartiers mais de la province, du sud, du programme Erasmus… Ça a contribué à changer ma perception des gens. A Cergy, j’avais l’impression que le monde entier était contre nous. « Ouais, vas-y, les babtous ne nous aiment pas, etc. ». Le morceau ‘Toubab’ parlait de ça. Finalement, tu rencontres ensuite les gens et tu te rends compte qu’ils sont intéressants et qu’ils ont des choses à t’apporter. Je ne connaissais rien en rock et des mecs m’ont fait découvrir Led Zeppelin. Moi je leur faisais écouter les 2bal. « Ah t’es un gars de cité mais tu parles bien français« , c’est quelque chose que j’ai entendu aussi. Le problème c’est qu’on ne se connait pas. Le premier des ghettos est dans notre esprit. Grâce à Dieu, j’ai rencontré d’autres gens. Sur les chemins du retour est le deuxième volet parce que j’ai pu voyager et relativiser encore plus ma vision des choses. Quand j’étais en classe de lettres, j’ai lu les Lettres persanes qui parlent d’une correspondance entre deux Perses, l’un était en France et l’autre était resté là-bas. Celui-ci disait : « Il faudrait que les Français apprennent à voir le monde autrement qu’avec des yeux de Français. »
A : Malgré les critiques que tu peux avoir sur la France, tu relativises beaucoup ta situation, notamment par rapport à l’Afrique. Tu y retournes souvent ?
Y : J’y retourne souvent, mais pas autant que je voudrais parce que je suis pris ici. J’y suis retourné récemment pour le tournage de ‘L’effet papillon’. Effectivement, la situation en Afrique n’est pas gaie. Même si je suis très attaché aux valeurs africaines, je ne suis pas là à glorifier l’Afrique. La situation y est tendue et je viens d’un pays qui est encore en guerre civile au moment où on se parle. Ça a fait quatre millions de morts et presque tout le monde s’en fout. J’essaie de me battre pour que ça aille mieux.
Ce qui est dommage avec la France c’est que ça pourrait être un pays génial. Le problème se situe plus au niveau des mentalités. Alors qu’en Afrique, ça reste compliqué et les problèmes repartent de plus loin par rapport à la situation politique. La colonisation nous a imposé des schémas sociaux qui ne sont pas naturellement les nôtres. Il faut déjà se dégager du paternalisme occidental pour opérer une refonte de nos sociétés avec une vision africaine. En France, on a déjà des institutions solides mais tout ça est gâché par une mauvaise mentalité.
A : J’ai l’impression qu’entre ton street-CD et ton premier album, tu es pas mal rentré dans le jeu du rap français en faisant pas mal de featurings et d’apparitions sur des compilations. Depuis tu t’es fait beaucoup plus discret et il n’y a qu’un featuring (S-Pi) sur ton nouvel album. Il y avait une volonté de se retrouver tout seul ?
Y : Je voulais écrire Sur les chemins du retour très rapidement et, finalement, je n’avais pas d’inspiration. J’ai arrêté d’essayer d’écrire et j’ai voyagé. Comme je le dis dans ‘L’effet papillon’, j’ai aussi repris le métro. Ça fait référence à un épisode bien particulier au cours duquel je n’arrivais vraiment plus à écrire. J’ai pris le métro et d’un coup, j’ai été tout étonné d’avoir de l’inspiration. Je me suis rendu compte qu’avec la notoriété, je sortais beaucoup plus en voiture. A l’époque, le RER m’inspirait énormément : tu es seul, le compartiment est vide et tu te mets à gratter ta feuille. Ce jour-là, j’ai fait trois aller-retours sur la ligne alors que je ne devais faire que trois stations au départ [Rires].
Les voyages m’ont beaucoup apporté aussi. Je suis reparti à New York dans les magasins que j’aime. A Beat Street, Manhattan, Harlem, Brooklyn… Je suis reparti au Gabon, au Sénégal qui est le pays de ma grand-mère, je suis resté une semaine en Paslestine. La Palestine m’a permis de comprendre plein de choses sur les rapports occident/tiers-monde d’une manière générale et sur la communication des médias par rapport au conflit israelo-palestinien. En réfléchissant là-dessus, ça m’a permis aussi de mieux comprendre l’apartheid en Afrique du Sud et la colonisation. Toutes ces expériences m’ont nourri. Avec des potes, on est allé en 4X4 en Espagne, dans le désert de Mauritanie, au Mali, au Maroc… J’ai rencontré des gens que je n’aurai pas pu rencontrer en temps normal.
Je crois qu’à un moment j’étais trop dans le cocon rap parisien et je me regardais le nombril. Un moment, ma vie tournait autour d’Hostile/Bomayé Music/Rap2k/l’Abcdrduson/Booska-P/Skyrock/Générations. Il y a d’autres choses dans la vie et il fallait que je découvre de nouvelles choses. C’est vrai qu’au final ça donne un album assez individuel. Je voulais faire quelque chose avec Kery James mais je n’avais pas trouvé de morceau à faire avec lui. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et j’espère travailler avec lui à l’avenir.
« L’avocat d’Eric Zemmour a dit à mon manager « Pourquoi est-ce qu’il n’a pas traité Eric de facho ? On n’aurait pas porté plainte. » »
A : D’ailleurs, l’album ne fait « que » 13 titres et est beaucoup plus compact que le précédent…
Y : Exactement. C’est une idée reçue de se dire que tu en as pour ton argent si je te donne vingt titres. Je préfère te donner de la qualité. J’ai eu une conversation de ce type avec Oxmo et il me disait « Illmatic n’a que dix titres« . Je lui répondais « Thriller, neuf titres« . Il ne s’agit pas de faire le moins et peut-être que mon prochain album aura dix-sept titres. L’idée est de rechercher la qualité et de faire en sorte que les titres se tiennent. Il y a des titres que je ne vais pas garder dans l’album parce qu’ils ne vont pas avec l’univers recherché.
A : Il y a eu deux polémiques assez importantes autour du rap français ces derniers temps. La première concernait Orelsan et les féministes, la deuxième toi et Eric Zemmour. Tu as eu l’occasion de t’en expliquer dans le Monde où tu parlais des rappeurs comme des artistes fantômes en France. Comment expliques-tu l’incompréhension des médias vis-à-vis des rappeurs et du rap français ?
Y : Pour les médias les plus racoleurs, l’information est un produit et il faut pouvoir raconter des histoires avec les personnages les plus caricaturaux possibles. C’est beaucoup plus simple que de nuancer les propos. Si les émissions de TF1 comme Appels d’urgence nuançaient leurs propos, ça ne marcherait pas. C’est plus simple de dire « Mouloud le délinquant » que « Mouloud a volé la mobylette parce qu’il a des problèmes d’argent dû au fait que son père… ». Ça va saouler tout le monde.
Je dis que « Je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Eric Zemmour« . Je suis un jeune rappeur noir issu de banlieue. Je suis finalement assez crédible en tueur. Du coup, des gens comme Jean-Marc Morandini, qui n’ont jamais parlé de rap français dans leurs émissions, font des sujets entiers sur « ce rappeur qui veut tuer Eric Zemmour, qui appelle au meurtre« . Pourtant, « faire taire » peut-être pris au sens le plus littéral du terme non ? On parle tous français. Eric Zemmour est journaliste et ne tue personne. Je suis rappeur et je me situe sur le registre oral et du débat d’idées. Après, ce serait de la mauvaise foi que de ne pas reconnaître que nous avons des visions du monde complètement différentes. Justement, avec cette phase, c’était davantage sur le registre du débat d’idées que je voulais le mettre à l’amende.
Une fois que la machine médiatique s’est emballée, j’ai eu peur d’être tricard. Pas tricard au sens où les médias n’allaient plus vouloir de moi. Quoi qu’il arrive, on ne nous invite pas de toute façon et je me bats pour qu’on ait plus souvent la parole dans des émissions grand public. Mais la chance que j’ai eu était de pouvoir faire un papier dans Le Monde. C’est un support beaucoup plus parlant que si je l’avais fait dans Rap Mag, Planète Rap ou sur l’Abcdr du son. Je m’adressais davantage à ceux qui connaissaient Zemmour que ceux qui connaissaient Youssoupha. Ce papier avait plein d’ironie parce que l’histoire est tellement dérisoire que je ne voulais pas la prendre au sérieux. Je voulais dire calmement que je ne tuais personne, que Zemmour ne tue personne. Oui, j’ai du mépris pour lui et je comprends qu’il porte plainte parce que je suis virulent envers lui mais les rappeurs ne sont pas des assassins. Arrêtons avec ces blagues là parce que la Rumeur en est à plusieurs années de procès. J’ai parlé d’artistes fantômes parce que les fantômes apparaissent uniquement pour faire peur. Quand tout va bien, les fantômes vont faire tâche. Quand il y a des émeutes ou des gens qui se font tirer dessus, ils vont inviter Alibi Montana. On a besoin de nous pour faire peur.
Ce papier dans Le Monde a montré que j’étais raisonné et que j’avais aussi de l’humour et de l’ironie. C’est à ce moment là que la polémique s’est retournée contre lui et que ça a été plutôt positif pour moi. Ceci dit, on est encore en procès et au moment où je te parle, j’ai encore des rendez-vous avec la police puisque l’instruction n’est pas finie. Son avocat veut toujours retirer mon disque des bacs.
A : Eric Zemmour est une vraie bête médiatique. J’ai l’impression qu’avec ce procès, il t’a presque tendu un piège dans le sens où lui n’allait pas s’embarrasser du « débat d’idées » avec un rappeur. Pour moi, Eric Zemmour, dans cette histoire, c’est le petit garçon dans la cour d’école qui est déjà allé se réfugier dans les jupes de la prof avant même que tu lui mettes une claque. Connaissant très bien la machine médiatique, il savait probablement qu’en levant le petit doigt et en disant « on appelle à mon meurtre », tout allait s’emballer…
Y : Exactement. Et que ça allait faire tomber un jugement définitif sur Youssoupha et que le débat allait être clos. C’est quelqu’un de très cultivé et de très malin. C’est un homme de médias et il connaît mieux la machine que moi. C’est vrai qu’au départ, il m’a tendu un piège mais, avec le temps, les gens rient plus de lui que de moi. Quand je lis sur des sites partisans de Zemmour des réactions après le papier dans Le Monde du style « C’est impossible que ce soit Youssoupha qui ait écrit ça« , je me dis que j’ai gagné. Quand dans Le Monde, je lis des commentaires du type « Je ne connais pas ce rappeur, je n’aime pas le rap mais qu’est ce qu’il lui a mis à Zemmour !« , je me dis que j’ai touché ma cible. Quand Le Figaro fait sa une avec moi, ça veut dire que j’ai touché là où ça fait mal. D’ailleurs, son avocat la ramène un peu moins alors qu’à un moment, il nous harcelait. Je pense qu’il sait qu’il a fait une erreur avec le recul. Il a même dit à mon manager « Pourquoi est-ce qu’il n’a pas traité Eric de facho ? On n’aurait pas porté plainte. »
A : Tu as appelé Maître Gims sur ‘L’effet papillon’ pour faire un refrain. La Sexion d’Assaut, ça fait partie des groupes de rap français qui te stimulent et que tu écoutes ?
Y : Au-delà du simple fait de les écouter, j’apprécie le côté frais qu’ils ont et l’espèce de gros délire qu’ils ramènent. Dans le rap français, on manque de groupes super énergiques comme pouvaient l’être NTM ou Tandem. Et puis la Sexion d’Assaut est aussi un crew à l’ancienne. Avec toutes ces personnalités, ils rappellent un peu le Wu-Tang. Pour revenir sur ‘L’effet Papillon’, c’est plus qu’une collaboration en fait. J’aime beaucoup les refrains efficaces et si je n’en suis pas satisfait, je vais préférer faire des morceaux sans refrain comme sur ‘A force de le dire’. Là je galérais vraiment à l’écrire. Je trouve que Gims est super fort pour ce genre de choses et je lui ai carrément demandé de m’écrire le refrain. C’est une chose qui se fait assez rarement dans le rap français. Il est venu, a trouvé un gimmick et une vibe qui rendent le tout super efficace.
A : En parlant de refrains, tu essayes un peu plus de chanter sur ce nouvel album comme c’est le cas sur ‘Le message’. C’est quelque chose que tu cherches à expérimenter ?
Y : Oui, c’est vrai que je m’aventure plus sur ce terrain là. Avant, j’avais moins d’audace et je me contentais de petits chœurs ici et là. Après, je fais ça sans prétention et je ne prétends pas du tout être un chanteur. Avec S-Pi, on parle plutôt de « rap song ». C’est à dire qu’on va essayer d’apporter une vibe et des gimmicks qui vont être plus marquants qu’une ligne de rap. En plus, j’ai une écriture assez intense avec des couplets qui peuvent aller jusqu’à trente mesures sans problèmes. C’est pour ça que j’aime bien insérer un bon refrain comme les cainris le font si bien. Je suis convaincu que la réussite d’un morceau dépend à 60% de son refrain.
A : Sur ‘Quinze ans en arrière’, tu fais ouvertement part de tes doutes quant à ton avenir et tu cites des rappeurs super doués dont on ne sait pas trop ce qu’ils font aujourd’hui (X-Men, Express D, Diable Rouge). Tu penses que leur absence est due à quoi ?
Y : Je ne sais pas. Ce qui est sûr c’est qu’on parle de gens qui ont énormément de talent et qui n’ont rien à nous envier, bien au contraire. Les X-Men, Express D, Fabe, la Cliqua ont plus fait pour le rap que moi.
Je suis allé au concert « Retour aux Sources » en juin dernier. J’étais super content de pouvoir voir les X-Men sur scène et, quand Cassidy est arrivé [NDLR : Ill était absent], je n’ai pas eu de réaction. Tout simplement parce que je crois que, sur le coup, je ne l’ai pas reconnu. Je me suis fait ce constat terrible : un groupe comme les X-Men n’a jamais fait de clip ! C’est la même chose pour Diable Rouge, c’est grave.
Pour répondre à ta question, je pense que ce sont des artistes qui ont agi de manière très spontanée et sans calcul. Ce sont des gens très doués qui n’ont pas eu le temps de pérenniser leur carrière. C’est très dur aujourd’hui de faire une carrière longue.
A : Tu fais preuve de pas mal d’humilité quand tu dis que tu respectes les anciens, qu’ils ont plus fait pour le rap que toi. Justement, qu’est ce que tu penses de toute la mouvance qui consiste à dire que « Le rap était mieux avant » ? Salif nous disait récemment que les gens voient cette époque comme meilleure uniquement parce que c’était nouveau…
Y : C’est drôle que tu me parles de ça puisque sur mes photos de presse, il y a des clichés où j’apparais avec un t-shirt « Le rap c’est mieux maintenant ». Je ne suis pas pour autant convaincu que le rap est mieux maintenant mais c’était par pure provocation. Parce que même pour un gros fan de rap français comme moi, je trouve que c’est bête et méchant de dire que c’était mieux avant. Tout est relatif à l’époque et au contexte.
Mon DJ, DJ Strech, est dans le din et me citait récemment une phrase issue d’un livre religieux : « C’est plus facile de commencer que de continuer« . Je crois que ça résume parfaitement la situation. A l’époque, le terrain était ouvert et tout ce qui sortait était nouveau. C’est beaucoup plus dur d’innover aujourd’hui que le rap est démocratisé, que tout le monde a des home studio, qu’un nombre incalculable de disques sort… C’est plus dur de prendre la relève mais ça n’était pas mieux avant, ça n’est pas mieux aujourd’hui et ça ne sera pas mieux demain.
Il faut aussi faire attention parce qu’avant, il y avait aussi des choses moins bien. A la fin des années 90 et au début des années 2000, quand le rap a commencé a rentrer dans les maisons de disques, il y a eu énormément de thunes qui circulaient, de gros chèques de signés et ça faisait tourner la tête à beaucoup de gens. Le seul reproche que je pourrai faire à l’ancienne génération c’est de ne pas en avoir profité pour prendre le pouvoir de notre musique. Aux États-Unis, ce sont Jay-Z et Funkmaster Flex qui tiennent les rênes. Ici, ce ne sont pas Cut Killer et Joey Starr. C’est quelque chose que je déplore.
Ils étaient plus créatifs à l’époque parce que le terrain était vierge mais ils étaient beaucoup plus ingérables aussi. Parfois j’arrive dans des villes et on me raconte les concerts que faisaient les anciens il y a quelques années de cela. Ils arrivaient toujours en retard, cassaient tout [Rires]. J’avais tourné à l’époque avec le Ménage à 3 et ils étaient hardcore ! Aujourd’hui, des mecs comme Médine, Sefyu, Sinik ou moi sommes sûrement plus pros. Par contre, il y avait moins d’égo à l’époque. Ils vendaient plus de disques que nous et combinaient beaucoup plus entre eux.
« Dire « Fuck les States », c’est comme cracher sur le raï algérien pour lui préférer celui de Courbevoie. »
A : Il y a un côté très positif et combattif dans l’album (‘Dans la légende’, ‘Itinéraire d’un blédard devenu banlieusard’). Tu te vois où dans cinq ans ?
Y : J’espère que j’aurai pris le pouvoir de ma musique. Mine de rien, l’argent reste le nerf de la guerre et je suis dépendant de ça. Comme je peux être à un moment dépendant d’une radio, d’un site internet, d’une maison de disque, de mon entourage. J’aimerais être encore plus libre dans ma musique. Même si on a monté Bomayé Music et qu’on est très content de notre licence chez Hostile. Ça se passe très bien avec Hostile qui ont été les seuls à croire en moi quand j’en avais besoin. Mais j’espère avoir encore plus de liberté et de responsabilité vis-à-vis de ma musique. J’aime en vivre mais je ne veux pas que ça devienne alimentaire. J’aimerais continuer à faire des albums tout en grandissant avec ma musique. Ça me ferait chier d’avoir trente-six ans et de courir après un tube pour les gamins.
A : Sur l’album, tu dis que tu « ne fais toujours pas de dirty south ». Sur le précédent album, tu disais sur ‘Dangereux’ « arrêtez les beats crunk, putain on n’est pas à Atlanta ». Est-ce qu’on peut en conclure que le rap sudiste te gonfle vraiment ?
Y : J’avais pas mal d’a prioris bêtes et méchants concernant le dirty south et j’ai beaucoup évolué. Je suis allé à Atlanta avec R et j’ai vraiment adoré. C’était aussi l’occasion de comprendre un peu mieux leur musique à travers leurs modes de vie, en fréquentant leurs clubs… C’est comme si tu as du mal avec le son westcoast, aller en Californie et observer leur mode de vie te fera sûrement évoluer.
Ce qui me saoule en revanche, ce sont les clones tendance qui s’engouffrent là-dedans sans aucune innovation. C’est propre au rap français de faire ça. Je ne pointe personne du doigt et m’englobe aussi là-dedans. Le rap français existe depuis vingt ans et, mis à part DJ Mehdi sur Les Princes de la ville, on n’a jamais innové. Là-bas, il y a tellement de mouvances différentes entre le son de Swizz Beatz, de Timbaland, de Dre, de Premier, de RZA, de Kanye, de Just Blaze, de Lil Jon… En France, on n’a pas de tendance et en plus on dit « Fuck les states« . Pourtant, on va les imiter sans aucune originalité.
D’ailleurs, plusieurs personnes ne savent même pas que le délire majoritaire du rap français vient du Queens et de tout ses artistes emblématiques (Mobb Deep, Twin Gambino, Big Noyd). Ils pensent que Lunatic a inventé ce style. C’est comme si tu vas t’intéresser au raï mais que tu vas cracher sur le raï algérien pour lui préférer celui de Courbevoie.
A : Tu as une écriture très technique avec beaucoup d’assonances. C’est quelque chose que tu travailles ?
Y : Oui, bien sûr. Quand j’étais plus jeune, j’ai été influencé par plusieurs rappeurs au niveau du style et du flow : Rocca, les 2bal, Philo, Dany Dan… Mais concernant l’écriture, c’est vraiment celle de Lino qui m’a à la fois traumatisé et fasciné. J’ai appris des règles d’écriture en m’intéressant à ces couplets. Je pense que 90% des gens n’ont pas conscience du puzzle que représente l’écriture de Lino. C’est toujours le bon lexique, la bonne assonance, la bonne syllabe au bon moment. Aucun mot n’est anodin chez lui.
Je ne me compare pas à lui mais j’essaye aussi de garder du sens tout en étant technique. Sur cet album, je pense que dans 90% des textes, les phrases ont une « doublerie ». C’est à dire que je ne fais pas seulement rimer la fin de la phrase mais que je rime aussi à l’intérieur comme ces lignes sur ‘A force de le dire’ : « A force de m’comparer à ceux qui ont détruit Manhattan/A chaque fois que vous parlez vous ne faites que des islamalgames« .
A : Tu as également été prof chez Popstars. Comment as-tu participé à ce projet et qu’est ce que tu en retires ?
Y : En fait, je faisais régulièrement des ateliers d’écriture avec des jeunes. J’avais entendu que Popstars voulait donner une connotation plus « urbaine » à l’émission et je me suis dit que ce serait intéressant d’y participer. J’ai insisté pour le faire en me disant que j’en avais les compétences. Après, j’ai eu peur qu’ils déforment mon image comme ça peut être le cas dans les programmes de télé réalité. J’ai été fidèle à ce que j’étais et je trouve qu’ils n’ont jamais essayé de me caricaturer. On m’a évidemment dit qu’il ne fallait absolument pas faire Popstars et ça m’a donné encore plus envie de le faire. Finalement, c’était une très bonne expérience et ça m’a permis de faire encore plus d’ateliers d’écriture.
A : C’est beaucoup plus dur de vendre des disques aujourd’hui et beaucoup imputent ça au téléchargement. Quelle est ta position là-dessus ? Tu vois ça comme un nouveau mode de consommation avec lequel il faut apprendre à vivre où tu assimiles ça à du vol ?
Y : Je vais faire ma pub puisque sur mon site, je poste maintenant quelques articles où je vais m’exprimer sur différents sujets. C’est drôle que tu me poses cette question puisque je suis justement en train de rédiger un article sur le téléchargement. Comme tous les albums qui sortent aujourd’hui, mon album circule sur le net depuis le milieu de la semaine précédant sa sortie. Face à ça, j’ai deux choix. Je peux insulter le vendeur zélé qui l’a reçu dans son magasin et mis sur le net. Ça va me défouler. Ou alors je peux m’adapter à mon époque. Une époque où, c’est vrai, il est plus dur de vendre des disques. C’est plus dur parce qu’il y a moins d’argent investis dans les disques aussi. On est content d’avoir un clip comme celui de ‘L’effet Papillon’ mais il coûte entre 15 000 et 20 000 euro. Mais je ne veux pas me plaindre face à ça.
Qu’est ce que je peux faire ? Ce n’est pas moi qui vais trouver le nouveau modèle. Moi, je ne peux que trouver l’inspiration pour essayer de faire le meilleur album possible. Parce que s’il est difficile de vendre des disques, c’est encore plus compliqué d’en vendre des mauvais. Comme disait Lunatic, à moi d’apporter « ma part de progrès« . Mon album n’a que treize titres parce que je ne voulais pas remplir mon album avec du vent. Je ne veux pas me moquer du public. Ça n’est pas une question de quantité et je pense qu’avec mon album, tu as de quoi t’interroger pendant un bon moment.
Même si je suis très content de mon précédent album, je pense qu’avec du recul on aurait pu faire mieux en terme de pochette et de qualité de l’objet. Pour cet album, avec Fifou, mon graphiste, on s’est pris la tête et on a imaginé toute une histoire. Après, ça n’est pas grave que les gens découvrent l’album avant qu’ils sortent. Je fais confiance à ceux qui me suivent. Depuis qu’il est disponible sur le net, certaines personnes l’ont écouté et j’ai déjà lu de bons retours. Si tu dois écouter l’album avant de l’acheter, ça ne me pose pas de problèmes. J’aime bien essayer un canapé avant de l’acheter.
[…] lui posait la question de l’influence de son père, Tabu Ley Rochereau, sur sa musique, Youssoupha évoquait « les lois de la génétique ». S’il ne lui a pas directement transmis la fibre artistique, il lui a en tout cas légué son […]