Chronique

Chino XL
Here to save you all

American Recordings - 1996

« Now who wanna diss to get they reps a little bigger/How many bitches wanna fuck this yellow nigga/You get your whole crew cut like a scissor/Watch this world shake from the album I deliver »

Le refrain de ‘Deliver’, backé par une délicieuse voix féminine, met tout de suite l’auditeur au parfum : sexisme, humour noir, vulgarité et prétention extrême, rien ne lui sera épargné au sein de Here to save You All, premier album de Chino XL, MC du New Jersey au physique colossal (ce qui ne doit pas être inutile quand on va aussi loin dans la provocation).

Car Chino ferait passer Tim Dog pour un monument d’humilité : il injurie, menace, et crache sur à peu près tout le monde, au sein du rap et hors de celui-ci, lançant ainsi une mode qui donnera à Eminem la popularité qu’on lui connaît (le MC de Detroit sera même qualifié de « fake Chino XL » par Evidence, lors de leur beef). Tout le monde y passe, d’Oprah Winfrey à Will Smith, de Puff Daddy à Brandy. Pas beaucoup de gens respectables aux yeux de Chino sur notre vieille planète, et l’on finit par se demander si le titre de l’album est réellement à considérer au second degré.

Mais qu’importe. Chino XL s’illustre tout simplement comme le battle MC parfait, disposant d’un flow incisif à l’extrême, très technique, et, bien évidemment, de rimes ingénieuses et brutales, flirtant allégrement avec les limites du bon goût : « Clear the runways, cause I’ma make you rappers my examples/Avoiding battling me like I’m Eazy-E’s blood samples » (‘Deliver’).

L’autoproclamé « King of punchline » montre rapidement que son titre n’est en rien usurpé. Les thèmes des morceaux ne deviennent d’ailleurs généralement plus que de vagues souvenirs au bout de quelques mesures, laissant place à une avalanche de phrases chocs : « My style is welfare, half of you bitches is on it » (‘Deliver’) ; « I show more blind rage/Than Stevie Wonder and Ray Charles wrestling in a steel cage » (‘Freestyle Rhymes’) ; « Your style’s too old to do me like Aaliyah and R. Kelly » (‘No Complex’).

Le MC prend également le soin de donner de lui une image inquiétante et ténébreuse, en empruntant souvent le champ lexical de l’horreur et de l’épouvante, comme dans l’excellent ‘Ghetto Vampire’, qui prouve que son écriture peut se faire dense et cohérente si nécessaire : « New heights, where it’s so dark you need candlelights/To expose the black plague my left hand writes/Nights enveloping and developing pictures in your brain/like a darkroom, in every monestary where I spark boom« .

Autre rare morceau où Chino se tient réellement à un thème précis, ‘What Am I ?’ raconte la difficulté de grandir en tant que métisse Afro-Américain/Latino, en faisant face au rejet des communautés hispanique, noire et blanche. Pas d’idées révolutionnaires ou de démagogie, juste des mots simples et un récit bien mené, parfaitement dans le ton global de l’album :  » See what I lacks in melanin I makes up wit adrenalin« .

Les productions, assurées essentiellement par B-Wiz, paraissent, bien que correctes, quelque peu inférieures au niveau du MC : dans l’ensemble en effet, les instrumentaux sont sans réel relief ni grand intérêt en eux-mêmes. B-Wiz et les autres intervenants à la conception sonore se sont contentés de mettre en place un cadre approprié au registre de Chino, créant des beats oppressants et nerveux, à renfort de lourdes lignes de basses et de nappes de violons angoissantes. Les productions de ‘Deliver’ ou de ‘No Complex’ restent d’indéniables réussites, mais on aurait globalement aimé un support moins stéréotypé et plus riche musicalement.

Cela permet néanmoins à l’auditeur de ne pas se détourner de la prestation de Chino, et de s’incliner devant celle-ci : le flow, souvent off-beat, est d’une grande fluidité, régulièrement ponctué d’accélérations impressionnantes. Et quand les productions sont de bonne tenue, on ne peut qu’apprécier : ‘Deliver’, ‘Ghetto Vampire’ et ‘No Complex’ sont les meilleurs moments d’un album de haute volée, premier jet méconnu d’un MC épatant.

Être un MC de East Orange, New Jersey, et ne pas avoir de grands noms parmi ses connections au sein du rap game avait toutefois restreint d’emblée la notoriété potentielle de Chino XL. Tant mieux, il ne se sera pas fait manger par les petits cochons comme tant d’autres. Toutefois, ni lui ni nous n’y trouverons notre compte : son troisième album, Poison Pen, annoncé pour 2004, n’a toujours pas vu le jour…

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