Chronique

Oxmo Puccino
L’amour est mort

Delabel - 2001

Trois ans après le théâtral Opéra Puccino, l’ex figure de proue de Time Bomb ressort de l’ombre. Trois ans, et quelques apparitions par ci par là (Hostile 2000, Sad Hill Impact), la mixtape Bâtiment B, c’est finalement assez peu. Trois ans c’est long quand on est un grand admirateur du Black Mafioso, alors inutile de vous préciser que je me suis jeté sur le premier maxi précédant l’album. Un maxi 2 titres, composé de ‘Quand j’arrive’ en face A, et ‘J’ai mal au mic’ en face B. Et là, déception.  ‘J’ai mal au mic’ sur la face B sauve quelque peu les apparences. La production de DJ Sek est lente, basée sur un beat claquant et un simple accord de guitare. Minimaliste et réussi. Oxmo retrouve par instants les jeux de mots qui avaient fait la richesse d’Opéra Puccino . « Je délivre un titre pour suicidaire averti : carabine à air déprimé cherche tempe libre« .

Fin du maxi et la déception prédomine. J’ai beau essayer me rassurer, refuser d’y croire, réécouter le maxi plusieurs fois, cette première salve est loin d’être enthousiasmante. Attendons tout de même la suite.

9 Mai : Comme on ne se refait pas, le jour de la sortie je viens acheter l’album, L’amour est mort. Coincé entre les dernières compilations de rap de rue à la française, le voilà enfin.

Un titre résolu, une pochette en noir et blanc où Oxmo prend l’air sombre, on devine déjà l’ambiance de ce nouvel opus. Mr Puccino s’attache à peindre un tableau profondément sombre et triste où une bien mince lueur d’espoir peine à percer. Le ton est grave et conforté par des sons cuivrés, quelques violons et parfois de simples notes de piano. L’ancien chef de file de Time Bomb s’émancipe de cette image de mafieux, pour épouser un registre plus sensible, fait de sentimentalisme, de nostalgie et d’émotion.

DJ Sek s’occupe de la plupart des productions de cet opus, DJ Mars architecte quasi exclusif d’Oxmo jusque là (avec K-c), signe un seul titre, l’excellent ‘Les raisons du crime’. Hasard ou affinité personnelle, la seule production de Mars de cet opus est à mon sens la plus réussie de toutes. Oxmo s’essaie lui aussi à la production, le temps de quelques morceaux, notamment l’étonnant ‘Tango des belles dames’. Titre basé sur un sample de piano redondant et un beat claquant, une bien jolie production. Le thème est double, à la fois la beauté des femmes et le regard des autres. Le ton est à la fois empreint de dépit, d’admiration et d’une certaine ironie : « …t’inquiète j’en trouverais une qui connaît pas mes textes, d’une manière, j’ai jamais été « boom » je représente pour les vilains et les moches, les filets de pêche entre les dents, l’embonpoint sur les hanches.. » Oxmo ne se perd pas dans les clichés du macho frustré et abusé par les clips où les bikinis sont de rigueur. La dernière rime de son deuxième couplet résume à elle seule son état d’esprit : « Tu sais qui je suis extincteur de belles flammes, respecteur de belles dames« .

Un morceau assez proche de ‘Le laid’, au niveau du fond comme de la forme. Construit à partir d’un jeu de sonorité simple et de la comparaison entre « laid » et « lait », ce titre met en exergue la laideur de la vie. Jalousie, haine et convoitise. « Hais-le et partage pas t’assumeras comment ça se passera chez eux, car il n’y en a jamais assez, toujours quelqu’un d’assoiffé, jamais assez. Et si t’as 5 verres de lait, fais gaffe à celui qui en a, tout comme celui qui en a 6, t’accuses de faire du vice. » Un titre d’autant plus surprenant qu’Oxmo se met à pousser la chansonnette le temps du refrain… Une nouvelle vocation qui revient régulièrement pendant les quasi 80 minutes de cet opus.

L’ensemble, pourrait traîner en longueur, mais il est justement entrecoupé de quelques interludes. Au lieu de perpétuer la tradition de l’échantillonnage des dialogues de film, le choix a été porté sur des petites conversations, intimes et pleines de sens. Le genre de petites histoires, empreintes de nostalgie, sonnant vraies, racontées autour d’un banc.

Si l’ambiance de l’album est profondément obscur, Oxmo ne tombe pas dans le tourbillon larmoyant et pseudo-conscient, maux récurrents dont souffre le rap français. Pas de successions de rimes plaintives ni de pleurs en séries, ni même de clichés de ghettos sur des samples de violons ultra-grillés. Un mal qu’Oxmo ne manque pas d’écorcher dans l’étonnant ‘Ghettos du Monde’ « Trop de rappeurs décrivent une vie grise, des violons qui font pitié, écrivent comme Anne Frank. »

Au lieu de s’enfermer dans une description sans âme des cités de France (avant tout), il s’arme d’une bonne dose d’humour et contourne les clichés. Sa description est un savant mélange de tragico-comique. « Chez nous, c’est pas que des packs de substances, illicites volées ou toxiques tassées dans des sales piaules, des chats qui miaulent sous les coups de bottes, des filles mères toxicomanes n’ayant pas les moyens d’acheter de la compote… » Si la manière est jolie, la forme reste très poussive. Le refrain s’avère vite pénible et dégage une forte odeur de formatage radio.

‘Boule de Neige 2001’ n’est aucunement un remix de l’ancien morceau du même nom, mais un inédit de qualité. Mélange de passages rappés et parlés, on retrouve le Oxmo des grands jours dans le rôle qu’il excelle, celui de narrateur. Il construit un très bon morceau mêlant passages rappés et dialogues, appuyés de bruitages à répétitions, d’où se dégage une véritable ambiance de thriller, nous rappelant ‘Alias John Smoke’ ou encore ‘Hitman’ (d’Opéra Puccino).

Si cet album est la représentation d’une vie, ‘A ton enterrement’ aurait pu clore le bal. En réalité, ce morceau situé au beau milieu de l’album, apporte une touche d’ombre supplémentaire. L’éternel Dany Dan pose quelques rimes avec son phrasé claquant reconnaissable entre mille. Le membre des Sages Po’ (dont le troisième album devrait arriver début septembre) endosse le rôle du concurrent respectueux, lâchant ainsi « …putain que c’est moche, maintenant tu gis 6 pieds sous terre et tu me fais plein de reproches, mais respect, je tiendrais la torche que t’as laissé, les tiens qui m’approchent viennent partager une Despé… » Un titre musicalement assez fouillé, où l’émotion et la sensibilité prédominent.

‘Les raisons du crime’ abrite une autre collaboration particulièrement réussie. Dry et l’inimitable Demon One (Intouchables) viennent donner la réplique à Oxmo sur un excellent instrumental de DJ Mars. Une production fouillée, mêlant violons, flûte et un joli beat ; bref une nouvelle preuve de l’immense talent de DJ Mars. Puisqu’on évoque indirectement Time Bomb, on précisera que seul ‘Premier Suicide’, avec le célèbre Bauza, ouvre la porte aux protégés d’Oxmo. Ce morceau vieux de deux ans (il était sorti en maxi en 1999) prouve une nouvelle fois que le cordon ombilical le liant avec Time Bomb a été définitivement coupé. Pas de JL, Keujahh ou Langue de chat, pour qui il est peut-être un peu tôt…ou un peu tard. On sera encore moins enthousiaste avec le morceau suivant, ‘Fais-le pour moi’ une soupe R&B indigeste, avec Keity Slake dans le rôle de la croûte et Oxmo dans celui du MC enlisé. Une horreur.

A un degré moindre, l’album est aussi composé de plusieurs morceaux particulièrement fades. Dans cette catégorie des titres dont on ne retiendra pas grand chose, on pourrait nominer ‘Balance la sauce’, où interviennent Diesel et Dad PPDA, ou encore ‘S’13-6.35’.

‘Mine Cristal’ est à déconseiller aux victimes d’une dépression passagère. Triste, sombre et quasi-fataliste, un joli morceau qui jouera sur votre fibre sentimentale. Le MC le plus talentueux du 19ème joue les observateurs impuissant et désabusé par les malheurs et l’injustice de ce monde. « Décidément y’a aucun jour où, il n’y a pas de problème, les paroles partent et les actes marquent, les naissances marquent et les meilleurs partent, pour un meilleur qu’ici ? »

L’album s’achève sur le fameux morceau ‘L’amour est mort’. Titre fouillé et complexe, s’arrêtant progressivement pour reprendre après plusieurs secondes de blanc. Dans une interview donnée à Soundicate, Oxmo explique combien ce morceau est le reflet d’une vie. « La musique parle d’elle-même : elle est trouble, elle est glauque, elle est belle, elle est claire tout en étant sombre, le rythme est irrégulier tout en étant cyclique, et je pensais que ça illustrait bien une vie. »

Alors évidemment L’amour est mort souffrira de la comparaison avec le quasi parfait Opéra Puccino. Le ton d’Oxmo a changé, l’album extrêmement sombre, peut paraître moins riche, mais il regorge tout de même de son lot de bonnes surprises. Après une écoute régulière on en vient à apprécier à sa juste valeur un ensemble finalement de qualité.

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