L’oeil de Janette Beckman
Photographie

L’oeil de Janette Beckman

Slick Rick et sa couronne, Flavor Flav et son horloge, LL Cool J et son Kangol… La photographe britannique Janette Beckman a immortalisé l’équivalent rap des Beatles traversant Abbey Road. Pour nous, elle commente quelques unes de ses images les plus emblématiques.

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Tout au long de sa carrière, la photographe Janette Beckman a documenté les mouvements culturels souterrains. Après avoir immortalisé la scène punk à la fin des années 70, cette Britannique est partie à New York pour suivre l’émergence du rap. En plein dans l’œil du cyclone, elle a alors capturé l’équivalent rap des Beatles traversant Abbey Road : Slick Rick et ses bijoux, LL Cool J et son Kangol, Flavor Flav et son horloge… « Des choses extraordinaires peuvent se passer devant les yeux d’un photographe« , raconte-t-elle, « il faut respecter son sujet, être patient, s’adapter aux situations, et se tenir prêt à capturer l’instant. » A l’occasion de son passage à Paris pour l’exposition Back In The Days, elle a commenté pour nous quelques uns de ses clichés les plus emblématiques.

Rick Rubin 1985

« J’adore cette photo. La combinaison du flingue et du gobelet Blimpie Coffee Shop est géniale. Rick Rubin était venu à mon studio de Tribeca. C’était une séance pour Rolling Stone avec les Beastie Boys, qui venaient de sortir leur premier album chez Def Jam. Rick Rubin semblait bourré d’énergie et de créativité, c’était un personnage un peu dingue. Je l’ai revu récemment, je l’ai photographié à la Bibliothèque Publique de New York quand il a donné une conférence avec Russell Simmons. C’était un soir glacial en fin d’année dernière, et lui se baladait pieds nus en short et tee shirt avec sa longue barbe. Il a l’air très zen aujourd’hui. »

Salt n Pepa 1987

« La première fois que j’ai rencontré Salt N Pepa, c’était dans le Lower East Side. On avait passé une super journée à se balader et à faire des photos pour un magazine anglais. Les filles étaient éclatantes, on aurait dit les meilleures amies du monde, et très talentueuses en plus de ça. Un an plus tard, elles m’ont demandé de les photographier pour leur nouvel album. A ce moment-là, elles étaient entrain d’exploser, leurs chansons très « girl power » passaient en boucle à la radio. Elles sont arrivées avec ces blousons super cool, des chapeaux, des leggings accordés, des bottes, des boucles d’oreilles en cerceaux et des chaînes en or. Le style à l’état pur. Cette photo est devenue une affiche géante dans les rues de Londres. »

Big Daddy Kane 1989

« Bill Adler, un grand ami à moi, était le co-auteur de mon livre Rap! Portraits & Lyrics of a Generation of Black Rockers. Il a réussi à s’arranger pour que Big Daddy Kane pose pour la couverture du bouquin. Je voulais faire une photo un peu sombre. Bill était attaché de presse chez Def Jam, et ça faisait quelques temps qu’il bossait avec Kane. Il l’admirait en tant qu’artiste, mais aussi en tant qu’être humain. Pour moi, Big Daddy Kane était aussi un mec très mignon : un plaisir à photographier, et le sujet parfait pour une telle couverture. »

Boo Yaa T.R.I.B.E 1990

« Boo Yaa T.R.I.B.E. étaient des mecs brillants. Les frères Devous venaient des îles Samoa. Ils m’avaient raconté que le grand frère avait été un sumo. Pendant leur jeunesse à Compton, ils ont intégré des gangs. Leur plus jeune frère est mort en 1987, et ils ont alors décidé de changer de voie et de dédier leur vie à la musique. On était dans les locaux d’Island Records à L.A. et on a décidé d’aller sur le toit pour prendre cette photo. Quelques années plus tôt, j’avais passé l’été à East L.A. pour photographier un gang mexicain, les Hoyo Maravilla. J’avais un peu compris les bases de la vie de gang, ainsi que les signes que les Boo Ya T.R.I.B.E. faisaient avec leurs mains. Je me suis alors dit que ça pouvait être potentiellement dangereux de traîner sur un toit avec ces types. Cette photo est bien hardcore, j’adore leur style, leur Marcels blancs immaculés, les bandanas… »

Slick Rick 1990

« Ça aurait du être la couverture de mon bouquin. Slick Rick est arrivé avec tout cet or sur lui. Je n’avais jamais vu autant de chaînes sur un seul homme. Il a sorti ces petits flingues et me les a montrés – ce fut aussi la première fois que je me retrouvais avec des flingues dans mon studio. L’éditeur du livre a adoré les clichés, mais Slick Rick a été arrêté pour avoir tiré sur quelqu’un, et on l’a envoyé en prison. Après ça, l’éditeur a décidé qu’on ne pouvait pas mettre un mec incarcéré en couverture du livre. C’était l’année 1990, bien avant Tupac et Biggie et la scène gangsta. Il a fallu faire une autre couv’. »

Jam Master Jay et son fils 1991

« Je réalisais la couverture de Paper Magazine dans mon studio avec Run DMC. L’ambiance était très relax, les gens discutaient entre eux. La compagne de Jam Master Jay est arrivé avec son fils qui portait le même chapeau que lui – c’était tellement cool que je leur ai demandé si je pouvais faire une photo pour eux. »

EPMD 1989

« Je photographiais EPMD pour la pochette de leur album Unfinished Business en 1989. On était censé se retrouver à Long Island, mais ils étaient super en retard, et à l’époque on n’avait pas de portables pour vérifier où ils se trouvaient. Je commençais à me dire que je n’allais pas les voir avant le coucher du soleil. Ils ont débarqué au moment où le crépuscule commençait. Je leur ai demandé de garer leurs voitures, une Mercedes 300SL et une Chevrolet IROC-Z Camaro, en faisant des angles de 45 degrés. J’avais quinze minutes pour mettre la photo en boîte. Quand ils sont sortis de leurs bagnoles, j’ai été étonné de découvrir ce qu’ils portaient sur eux. J’adore cette photo. »

Flavor Flav 1989

« J’avais pour mission de photographier Public Enemy pour Melody Maker, un magazine britannique. Des gens m’ont dit que ça allait être un shooting difficile : comme PE était à fond dans le black power, ils risqueraient de ne pas être très coopératifs. Evidemment, c’est le contraire qui s’est révélé. Flavor est arrivé dans mon studio avec Chuck et Terminator X. Ils ont été extrêmement polis, courtois et patients avec moi. Flavor portait pour la première fois une horloge, et une casquette Beastie Boys. Je ne me doutais vraiment pas que ces artistes deviendraient un jour de telles icônes. Le rap était encore un mouvement underground aux Etats-Unis. Ce n’est que quelques années après Yo! MTV Rap et l’apparition du rap dans les pubs McDonald’s que le genre a commencé à être accepté. Dans les années 80, l’aspect business n’était pas encore aussi présent, et je pense que c’est la raison pour laquelle ces artistes sont aujourd’hui légendaires. »

Grand Master Flash & The Furious Five  1987

« En 1988, on m’a demandé de photographier Grand Master Flash et les Furious Five pour leur nouvel album. Comme « The Message » était – et est toujours – ma chanson préférée, j’étais super excitée. Je suis allé chez Atlantic Records pour rencontrer leur directeur artistique. Le groupe n’était pas là, mais on m’a dit qu’ils avaient un concept pour leur pochette. Ils voulaient une Rolls Royce, des filles en bikini et une caisse de Champagne Moët – c’était écrit dans le contrat. On a donc loué le showroom Rolls en ville, on a engagé deux mannequins en bikinis en lurex, le groupe a bu son champagne, et j’ai essayé d’obtenir l’image qu’il nous fallait pour la pochette. Je me tenais en haut d’une grande échelle, à essayer de donner des directives au groupe. Bizarrement, Cowboy avait disparu, alors on a filé sa veste et son chapeau à un technicien, qui a posé dos à l’objectif. Melle Mel s’amusait avec un fouet qu’il avait trouvé, ça terrifiait la styliste et les mannequins, la musique était à fond, tout le monde était soit bourré, soit défoncé. Bref, le chaos complet. Ça a été une scène complètement folle mais j’ai quand même réussi à avoir mon image. »

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4 commentaires

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  • rtl3120,

    Bon taf les mecc continuez comme ça

  • air k,

    Photos classiques, ça fait plaisir de lire les anecdotes de Janette Beckman ! (sinon bravo et merci pour le site en général)

  • Nadsat,

    Super article ! Ça donne envie de réécouter tout ce beau monde …

  • Gaëtan,

    Sympa de connaitre les coulisses de ces photos mythiques.