L’année rap 2014
Ça aurait pu s’appeler « la liste qui mécontentera tout le monde ». On préfère penser que c’est un palmarès qui fera plaisir à beaucoup, mais on se trompe sans doute. Albums, morceaux, et tendances globales : retour sur cette année de rap 2014.
Étrange année 2014. De chaque côté de l’Atlantique, les habituelles têtes d’affiche se sont souvent contentées de quelques morceaux disséminés pendant l’année (Drake ou Booba, par exemple), ou ont fait parler d’eux dans un cadre extra-musical (le mariage de Kanye West, la descente de Rohff chez Ünkut). Malgré ces places vacantes, leurs concurrents n’en ont pas profité pour passer un cap avec un deuxième projet majeur : on pense à Kendrick Lamar ou à Kaaris, qui ont maintenu une pression indéniable, mais dont on attend finalement les nouveaux albums l’an prochain. Et des artistes proposant un rap plus grand public ont creusé l’écart, d’Iggy Azalea à Black M.
Ce chaos partiel a laissé la possibilité aux vétérans en forme, outsiders, coureurs de fond ou artistes plus confidentiels de briller – et de marquer notre année rap 2014. Douze mois marqués, peut-être plus qu’auparavant, par une autre manière d’écouter cette musique, morceaux mis en ligne les uns après les autres, parasitant parfois notre appréciation des projets de manière globale. Mais la qualité indéniable de certains d’entre eux s’est aussi imposée à nos oreilles. Entre coups de cœur et analyses à chaud, voici notre bilan de cette année de rap.
David Album de l’année : Seen It All: The Autobiography (Young Jeezy)
Jeezy commence à avoir de la bouteille et une discographie déjà bien étoffée. Plutôt que de sortir un album de cadre ennuyeux ou de courir après la jeunesse, il s’adapte, devient un peu plus personnel, sans s’éloigner pour autant de son registre habituel. Seen It All respire ce même esprit conquérant qui a fait ses heures de gloire, célèbre toujours la débrouille et revient sur ses années de rue avec un soupçon de recul et de hauteur en plus. Le tout est équilibré, avec sa poignée de tubes évidents, comme le monstrueux « Me OK », et de titres qui mûrissent au fil des écoutes, comme « Holy Ghost ». Parmi les réussites, citons également le morceau éponyme qui accueille un Hova en grande forme, le grandiloquent « 1-4 Block » et « Been Getting Money » (des années qu’on n’avait pas osé aimer un titre avec Akon). Avec Seen It All, Jeezy solidifie encore un peu plus sa carrière et montre, à la différence d’un T.I. qui semble ne plus savoir faire d’album, qu’on peut bien vieillir dans la trap.
Et aussi
- Kevin Gates – By Any Means
- 100s – Ivry
- Lil Herb – Welcome to Fazoland
- Rich Gang – Tha Tour Part 1
10 titres
- Drake – « 0 to 100 »
- Young Jeezy – « Me OK »
- T.I. – « About the Money » (ft. Young Thug)
- Big K.R.I.T. – « King of the South »
- Aelpéacha – « Rider sans frontières » (ft. CSRD)
- Travis $cott – « Skyfall » (ft. Young Thug)
- 100s – « Type of Love » (ft. Cherub)
- Kevin Gates – « Arm & Hammer »
- DJ Quik – « Life Jacket » (ft. Suga Free & Dom Kennedy)
- Fat Trel – « How U Feel »
2014 : l’avènement de Rae Sremmurd
À l’origine, il y a « No Flex Zone ». Le titre prend comme une traînée de poudre, Nicki Minaj et Pusha T sautent sur le remix, ça s’emballe. Puis vient « No Type », morceau plus posé, mais tout aussi dévastateur, où les deux gamins qui constituent Rae Sremmurd déploient une énergie naïve, une folie adolescente et des gimmicks accrocheurs de leurs voix qui déraillent. Ces deux-là, bien couvés par Mike Will, ne sont pas partis pour disparaître dans les tréfonds d’Internet après leur coup d’éclat. Jusque-là, chaque apparition fait mouche. Le producteur et ses protégés distillent les morceaux pour frapper fort, avec le risque, peut-être, de tomber dans le calcul et de perdre cette candeur un peu brouillonne, mais rafraîchissante. Deux tubes dans une carrière, c’est déjà très bien, mais en si peu de titres, c’est un exploit. Pourtant, on va leur en demander encore quelques-uns, parce que c’est seulement à travers de gros succès qu’un groupe comme Rae Sremmurd peut exister. 2015 verra la sortie de leur premier album, et peut-être le début d’une ère.
Nico Album de l’année : Ohio (Stalley)
Cette année, LeBron James et Stalley ont partagé un objectif commun : celui de placer leur Ohio natal au centre du monde. Ou au moins au centre des États-Unis. Pour son premier véritable album, le lieutenant du bawse présente la réalité de son Ohio, un portrait sans fard avec ses (petites) arnaques, ses crimes et sa botanique. Porté par plusieurs titres marquants – dont « Jackin’ Chevys » et « One More Shot » – mais aucun vrai banger, il sert un ensemble dense et uniforme, dont l’éclat se révèle progressivement. Composé en famille – avec les fidèles Rashad et Black Diamond – il pose une atmosphère toute en maîtrise, lente et déliée. Parfois clinquant mais toujours brillant, Ohio c’est beaucoup d’ego mais aussi la revanche des cols bleus et l’illustration d’une ascension sociale symbolisée par MMG. On savait Stalley capable de prendre de la hauteur. Cette année, avec Ohio, le grand échalas de Massillon fait encore mieux : il occupe un de ses sommets.
Et aussi
- Run the Jewels – Run the Jewels II
- Freddie Gibbs & Madlib – Piñata
- Sameer Ahmad – Perdants magnifiques
- Vince Staples – Hell Can Wait
10 titres
- Vince Staples – « Nate » (ft. James Fauntleroy)
- Freddie Gibbs & Madlib – « Knicks remix » (ft. Action Bronson, Joey Bada$$ & Ransom)
- Lino – « 12ème lettre »
- Run the Jewels – « Close Your Eyes (And Count to Fuck) » (ft. Zack De La Rocha)
- Flying Lotus – « Never Catch Me » (ft. Kendrick Lamar)
- Action Bronson – « Easy Rider »
- Stalley – « Free »
- Lil Herb – « 4 Minutes of Hell pt.3 »
- Sameer Ahmad – « Barabbas »
- Young Jeezy – « Seen it All » (ft. Jay Z)
2014 : Action Bronson en cuisine
La carrière de rappeur d’Action Bronson ne tient à pas grand chose. Une jambe cassée et une immobilisation forcée l’ont éloigné des fourneaux pour lancer sa passion pour l’écriture, les punchlines référencées et le grand spectacle. C’était il y a à peine quatre ans. Depuis, l’ancien cuistot aux longs couteaux a empilé les albums, mixtapes, et autres apparitions éclairs avec un rythme de stakhanoviste et un appétit toujours grandissant. Jamais rassasié, Mr. Wonderful a pris du poids jusqu’à devenir un personnage larger than life, à la fois amuseur public, citoyen du monde et rappeur multi-facettes. Son émission Fuck, that’s delicious est à son image : avant tout généreuse et débordante d’enthousiasme. Le concept est simple au possible : Bronsolino promène son éternelle équipe de gros bras (Meyhem Lauren, Big Body Bes) dans les meilleurs restaurants du monde, de Copenhague à La Nouvelle Orléans, en passant par Chicago et Londres. Une forme de retour aux sources mais avant tout un grand moment d’humanité.
Greg Album de l’année : Run the Jewels 2 (Run the Jewels)
On aimerait bien dire un peu de mal de Run the Jewels deuxième du nom. Ne serait-ce que pour fissurer un peu le bloc d’une critique dont l’enthousiasme est quasi unanime. Un peu de temps peut d’ailleurs être nécessaire pour entrer dans le disque. Mais une fois que c’est fait, attention. On a beau vouloir objecter ceci, faire la fine bouche sur cela (une couverture à l’esthétique discutable, un côté bite/couilles un poil répétitif, quoique retourné sur « Love Again »), rien à faire : ce déluge de trente-huit minutes vous chope sans plus vous lâcher. « Punches is thrown until you’re frontless. » Il y a deux types de boxeurs : ceux qui cognent fort d’entrée de jeu, et ceux qui distillent leur effort. RTJ2 fait les deux. ll faut dire qu’il a pour lui le sens de l’ouverture et de la clôture : rien de mieux que « Jeopardy » pour l’entamer, rien de mieux que « Angel Duster » pour l’achever – et l’auditeur avec. Entre les deux une énergie dingue, et cependant un disque qui fourmille de détails ; des variations maîtrisées qui viennent renforcer l’homogénéité sonore et non la desservir ; quelque chose de bourrin à souhait en apparence, mais avec plus de subtilité qu’il n’y paraît et une bonne dose d’humour pour emballer le tout. Un drôle de mélange, en fait. Salement addictif, le mélange.
Et aussi
- Chill Bump – Ego Trip
- La Canaille – La nausée
- Freddie Gibbs & Madlib – Piñata
- Jonwayne – Cassette on Vinyl
10 titres
- Joey Bada$$ – « Big Dusty »
- Zion I – « Get Urs » (ft. Mr. Lif, Kev Choice, Deuce Eclipse, Opio, Sadat X)
- RetcH – « Fly Away » (ft. $ha Hef)
- Fel Sweetenberg & DJ Brans – « Power Stricken »
- Zippo – « La Terre est plate »
- 7eventhirty & Gensu Dean – « Foot on the Ground »
- Apathy – « The Curse Of The Kennedys »
- Asocial club – « 99% »
- Ghostface & Badbadnotgood – « Gunshowers » (ft. Elzhi)
- Hail mary mallon – « Used Cars »
2014 : rap et jazz à fronts renversés
On n’a peut-être pas encore bien pris la mesure d’un retournement dont doo-bop (1992) constitue un disque charnière : non plus la façon dont le jazz a irrigué le rap mais, à l’inverse, l’influence directe du hip-hop sur une partie du jazz contemporain. Un peu plus de vingt ans après le 3D-Lifestyles de Greg Osby, les passerelles se sont multipliées, dans des directions parfois étonnantes. 2014, c’est aussi bien Ghostface Killah qui travaille à un album commun avec le trio canadien BADBADNOTGOOD que Snoop Dogg et Kendrick Lamar figurant sur le nouvel album de Flying Lotus (aux côtés entre autres de Herbie Hancock), aussi bien le trompettiste Antoine Berjeaut qui fait un album commun avec Mike Ladd (Wasteland), tout en collaborant parallèlement avec La Canaille, qu’un morceau du Steve Lehman Octet qui revisite le tube de Camp Lo « Luchini (This is it) » – une tuerie qui n’a pas pris une ride et tournait elle-même autour d’un sample de Dynasty. Mais c’est aussi un album commun entre Oxmo Puccino et Ibrahim Maalouf (Au pays d’Alice…) ou le guitariste jazz-rock Wayne Krantz qui signe sur son nouvel album, Good Piranha/Bad Piranha, une reprise du « My Skin is My sin » d’Ice Cube. Et tout ça sans compter J Dilla cité partout…
Mehdi Album de l’année : My Krazy Life (YG)
Si Good Kid, M.A.A.D City représentait le côté yin du rap de Compton alors My Krazy Life de YG en est incontestablement le yang. Quand Kendrick donnait un aperçu de ce que à quoi ressemblait la vie d’un jeune californien qui cherche à s’extirper de la violence et de la menace des gangs, YG embrasse complètement cette vie-là. Epaulé par un casting cinq étoiles (Jay Rock, Schoolboy Q, Kendrick himself ou encore Drake), le rappeur et DJ Mustard, au sommet de son art derrière les machines, font passer un niveau à la formule qu’ils avaient déjà brillamment appliquée l’an dernier sur Just Re’d Up 2. Si la ratchet music est évidemment au rendez-vous, le duo prouve qu’il sait aussi investir d’autres terrains, qu’il s’agisse d’aller vers du g-funk plus traditionnel (« Do It To Ya ») ou de donner dans l’introspection (« Sorry Momma »). Machine à tubes, My Krazy Life est aussi le signe d’un rap californien qui a retrouvé sa superbe et se remet à influencer le reste du monde.
Et aussi
- Rich Gang – Tha Tour Part 1
- J. Cole – 2014 Forest Hills Drive
- Travi$ Scott – Days Before Rodeo
- Migos – Rich Nigga Timeline
10 titres
- Kendrick Lamar – « i »
- Kaaris – « Chargé »
- T.I – « About the Money » (ft. Young Thug)
- Sameer Ahmad – « Siwak »
- Curren$y – « 10 G’s remix » (ft. Birdman & Gunplay)
- Schoolboy Q – « Break The Bank »
- Asocial Club – « 99% »
- OT Genasis – « Coco »
- G-Unit – « The Plug »
- Nicki Minaj – « Want Some More »
2014 : un rendez-vous manqué avec Metek
Cette année, Metek a sorti Riski. Un premier album solo que ses plus fervents auditeurs attendaient depuis des années. Un projet sauvage et raffiné, harmonieux et cacophonique. Un disque qui m’accompagne depuis sa sortie et même un peu avant lorsque son label me l’avait envoyé. Rapidement, une interview avait été planifiée. Comme à notre habitude, nous avions pris le temps de discuter : plus de deux heures d’entretien durant lesquelles il avait été question de Michael Jackson, de la peur de réussir, de Booba, de poèmes vendus dans les rues de New York ou encore de Jean-Jacques Goldman. Pour des raisons qui lui appartiennent, Metek avait décidé de s’opposer à la sortie de ce papier. A plus d’un titre, cette décision était frustrante tant j’avais le sentiment que, plutôt que de le piéger, cette interview mettait en lumière une autre facette de l’artiste, plus méconnue mais nécessaire pour appréhender son œuvre. Parfois, je relis certains passages après une écoute de Riski et je me prends à rêver de la réédition de l’album et d’un pack spécial qui inclurait cette interview maudite. Sûr que ça ferait plaisir aux plus grands fans de Metek.
David² Album de l’année : Perdants magnifiques (Sameer Ahmad)
Si le roi Gilgamesh a réellement existé, il regrette probablement de n’avoir jamais offert l’éternité qu’à son nom. Et son buste affiché plus de quatre mille ans plus tard sur la pochette d’un disque de rap ne risque pas d’y changer grand chose. Sameer Ahmad lui, s’en « bat les valseuses comme Patrick Dewaere. » Chant de prépotence, récit des défaites de l’Homme, Perdants Magnifiques saisit tout à la fois l’instantané et l’atemporel. Comme des diapositives qui défilent, il envoie des images de comètes, d’agroglyphes, de boxeurs soviets. Certaines figées dans le temps, d’autres qui ne lui appartiennent plus depuis longtemps. Ensemble, elles forment une fresque à mi-chemin entre le moderne et le traditionnel, qu’Ahmad épand au gré de ses textes et de leur flux. Une peinture sonore et sémantique, qui a quelque chose en elle d’infiniment entier. Alors peu importe si Perdants Magnifiques n’est qu’une petite victoire. Elle est assez pleine pour fermer des bouches et laisser des dents à même le trottoir, incrustées pour longtemps. Mot-dièse C-Walk.
Et aussi
- Asocial Club – Toute entrée est définitive
- Isaiah Rashad – Cilvia Demo
- ScHoolboy Q – Oxymoron
- Stalley – Ohio
10 titres
- Ab-Soul – « W.R.O.H. » (ft. JMSN)
- Ahmad – « Crop Circle »
- Akhenaton – « Deuxième Chance »
- Asocial Club – « Mes Doutes »/ »Creuser »
- Cozz – « Knock tha Hustle » (ft. J. Cole)
- Freddie Gibbs & Madlib – « Broken » (ft. Scarface)
- Jay Rock – « Parental Advisory »
- Kaaris – « Se-Vrak »
- Kendrick Lamar – « i »
- Mobb Deep – « Gimme All That »
2014 : l’année du (vrai) retour de Lino
« J’arrive, les gars ! 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012 … Ensuite, je fais un break ! Et je reprends : 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019… » disait Lino à StreetLive en 2005, dans une interview passée à la postérité. Si l’on s’est sérieusement demandé où était passé Lino entre Paradis Assassiné et la sortie mascarade de Radio Bitume, le bougre n’a pas menti à propos de la reprise : l’année 2014 signe bel et bien son retour en grâce. Et on a envie de croire que 2015 sera celle de la consécration. Prévu pour le 12 janvier prochain, Requiem s’annonce sous les meilleurs auspices. Niveau imagerie, la pochette on ne peut plus linoesque donne le ton. Niveau singles, « Douzième Lettre », « VLB » et « Wolgang » font le sans faute. Un sans faute très épars certes, mais on est quand même en droit de penser que Lino est suffisamment habile pour manier à la fois l’égo trip, le nostalgique et l’homérique sans faire dans le biscornu. Considérant qu’on peut en plus tabler sur la présence de quelques pépites de Radio Bitume gardées sous le coude et que le dernier extrait « Suicide Commercial » pue le sang et l’urine, tous les voyants sont au vert pour Monsieur Bors. « Ils préféreraient me voir avec un flingue plutôt qu’un micro », qu’il disait dans « Délinquante Musique ». Lino a encore ses dix doigts, donc tout va bien.
Lecaptainnemo Album de l’année : Tony (King Louie)
Aux premières notes retentissantes de « B.O.N », le premier morceau de Tony, le décor est planté. Froid, brutal, mordant comme le vent de sa ville, King Louie livre son projet le plus direct, d’une violence sans merci, extrême ou peut être, juste humaine. L’ombre de Yeezus plane, comme un cri glacial, comme la bande son d’un film d’horreur à ciel ouvert. A l’instar du Welcome to Fazoland de Lil Herb, ce projet délivre en 15 titres un condensé de vie urbaine en 2014, moderne et hyper connectée, avec un taux de criminalité exponentiel survolé par des drones menaçants. Les images sont saisissantes, les portraits précis, surtout lorsque la compression se calme sur « Live & Die In Chicago », le point d’orgue d’un disque déjà référence. Malgré ce brûlot extrême, le roi Louis semble se diriger vers un univers moins dur en se rapprochant de la chouette OVO avec le moyen Soprano EP. Une raison de plus pour apprécier à sa juste valeur ce Tony à l’urgence fatale.
Et aussi
- YG – My Krazy Life
- Rich Gang – Tha Tour Part 1
- Iamsu! – Sincerely Yours
- A-Wax – Pulling Strings
10 titres
- Gucci Mane – « Dope Love »
- Young Jeezy – « Me OK »
- Puff Daddy – « Big Homie » (ft. Rick Ross & French Montana)
- Troy Ave – « Your Style (Remix) » (ft. Puff Daddy, T.I., Ma$e)
- Lil Herb – « Momma I’m Sorry »
- 2 Chainz – « Freebase »
- Shy Glizzy – « Awwsome »
- 100s – « Ten Freaky Hoes » (feat. Redinho)
- Tree – « Probably Nu It »
- Rocko – « Luv »
Kiko Album : Wakedafucup (Onyx)
Franchement, l’an dernier, qui attendait encore quelque chose de Fredro Starr et Sticky Fingaz en tant que rappeurs ? On espérait surtout du duo qu’il entretienne un tant soit peu la flamme Onyx lors de concerts électriques, célébrant des faits d’armes musicaux âgés, au mieux, d’une bonne quinzaine d’années. Et pourtant… Made in the Streets de Fredro, sorti fin 2013, aurait dû nous alerter. Non, le rap n’est pas devenu un simple hobby entre deux tournages pour les Mad Faces, une décennie après le dernier album d’Onyx. Sur scène comme en studio, la rage reste intacte. Et aussi improbable que cela puisse paraître, ce sont les bourrins allemands de Snowgoons qui ont su lui fournir un support adéquat et lui donner une dimension plus actuelle. Wakedafucup est clairement taillé pour le live, regorgeant de morceaux coups-de-poing (« Whut Whut », « Wakedafucup », « Turndafucup »). Les deux New-yorkais ne se réinventent pas vraiment sur les productions lourdes et nerveuses de DJ Illegal et de sa clique, mais leur énergie et la cohérence dans le choix des beats fait du projet un album solide et plaisant, sans réel passage à vide. Une belle démonstration de savoir-faire de la part des différents acteurs impliqués, et une preuve, si besoin en était, que les retours dans le rap ne sont pas tous voués à l’échec.
Et aussi
- Arkeologists x Bobby Balkan – The Beautiful Ugly
- People Under the Stairs – 12 Step Program
- Shinobi Stalin – Invisible Man
- String Theory – String Theory
10 titres
- Arkeologists x Bobby Balkan – « High » (ft. 9th Uno)
- Army of the Pharaohs – « Sumerians »
- Clipping – « Something They Don’t Know » (ft. SB The Moor, Nocando & Open Mike Eagle)
- Onyx – « Turndafucup »
- People Under the Stairs – « Umbrellas (God Forgive Me) »
- Planet Asia & TzariZM – « Via Satellite » (ft. Midaz & Casual)
- Skyzoo & Torae – « All in Together » (ft. Guilty Simpson & Sean Price)
- Sol Zalez & Tone Liv – « Night of the Living Zombie Fish »
- Starvin B – « Degenerate Graveyard » (ft. Foul Monday)
- Step Brothers – « More Wins »
2014 : l’overdose de posse cuts ?
2014. Internet est partout, permettant à un rappeur d’entrer en contact avec presque n’importe lequel de ses confrères. Par ailleurs, la multiplication des home studios donne la possibilité de réaliser des tracks (voire des albums) collaboratifs sans même avoir à organiser de rencontre physique. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant d’avoir pu entendre ces derniers mois un grand nombre de posse cuts, ces titres où quatre MCs ou plus se succèdent au micro, l’émulation jouant à plein. Exit l’époque où le seul morceau collectif était celui qui concluait un projet, la formule « c’est qui qui a la plus grosse ? » s’étend aujourd’hui du début à la fin de certains opus, sus à l’intimité. Référence actuelle en la matière, Army of the Pharaohs a signé cette année deux longs formats qui, s’ils ne sont pas franchement convaincants, contiennent leur lot de tabassages de beats en réunion et en règle (« Sumerians », « War Machine« , « Conjure the Legions« ). Habitués plus obscurs de l’exercice, les Anglais de Blah Records ont également fait avancer la cause (écoutez donc « Puta » de Lee Scott et ses potes ou « 68 Sag » de Tony Broke et co.). Citons aussi les excellents « All In Together » sur Barrel Brothers de Skyzoo et Torae, « Norman Bates », tiré de Fightin’ Words de Diabolic ou « Underground King RMX » de Genesis Elijah, véritable marathon rapologique. Alors certes, tout cela contribue à l’un des maux du rap en 2014, le manque d’identité des projets. Mais en attendant que la mode soit à nouveau de faire de vrais albums avec une direction artistique claire, on a au moins là de quoi remplir nos playlists mp3.
Raphaël Album de l’année : Hell Can Wait (Vince Staples)
La sensation qui ressort de Hell Can Wait est celle d’une fournaise étouffante, du genre incendie d’une nuit d’émeutes. Vince Staples livre sept titres économes, allant droit au but malgré la richesse de ses rimes et la complexité de son propos. Le rappeur de Long Beach raconte une vie de petite frappe des rues de L.A., à la fois comme témoin distant et acteur direct. Un quotidien fait de brutalités policières (« Hands Up »), d’addictions omniprésentes (« Screen Door »), de relations compliquées avec les filles (« Limos »), et d’une tension combustible entre son éducation spirituelle, son environnement social et ses propres envies contradictoires – un trouble magnifié sur des titres comme « Fire » et « Blue Suede ». La musique, supervisée par No I.D., joue sur cette impression globale de brasier, que ce soit grâce à la sirène affolée de « Blue Suede », la basse ardente de « Hands Up » ou les étincelles de « Feelin’ The Love ». Dense et contenu sous pression, le premier EP de Vince Staples sur Def Jam ressemble à une bouteille de gaz, dont l’odeur de souffre rappelle les récentes affaires de bavures policières outre-Atlantique.
Et aussi
- Sameer Ahmad – Perdants magnifiques
- Run the Jewels – Run the Jewels 2
- Deen Burbigo – Fin d’après minuit
- Chris Crack & Tree – TreeSwag
10 titres
- Lil Herb – « 4 Minutes of Hell pt. 3 »
- ScHoolboy Q – « Break the Bank »
- Lino – « VLB » (ft. T-Killa)
- BeatKing – « Smile » (ft. Fat Pimp)
- Rick Ross – « Elvis Presley Blvd » (ft. Project Pat)
- YG – « Bickin Back Bein Bool »
- A2H – « À la cool »
- T.I. – « About the Money » (ft. Young Thug)
- Royce Da 5’9″ – « Son of Greg »
- Zekwé Ramos – « Premier métro »
2014 : l’année où le rap français s’est brisé en morceaux
En 2012, notre confrère américain Andrew Noz expliquait pourquoi cette année-là, le rap avait explosé en plusieurs fragments après une décennie de micro-failles. Cette impression, je l’ai eu personnellement pour le rap français cette année. Si on se base strictement sur les ventes d’albums, les passages radio ou les vues Youtube, 2014 marque les cartons de Black M, Jul, Kaaris, Soprano, Lacrim, Team BS, Gradur, Alonzo ou encore Booba. Ça vous marque déjà un écart de styles. Si l’on élargit cette liste à des succès moins écrasants mais conséquents – citons, au hasard, BigFlo et Oli, Joke, Niro ou L’Entourage (et j’en oublie une bonne vingtaine) – cela creuse un fossé. Réussite grand public, encrage régional ou succès de niche ; phénomène Internet, intégration aux médias généralistes ou présence sur le circuit des festivals (demandez aux Casseurs Flowters) : le rap français n’a jamais été aussi accessible et diversifié dans ses déclinaisons esthétiques. Mais chaque artiste pris individuellement est de plus en plus clivant. Notre page Facebook en porte de belles cicatrices tous les jours. Dans vingt ans, un expert du même genre que Karim Hammou décryptera peut-être à son tour comment le rap, son public et son image se sont modifiés vers les années 2010. Pour le moment, la variété du rap hexagonal en 2014 me réjouit autant qu’elle m’échappe partiellement.
zo. Album : Way Too Slick (Kespar)
Way too Slick ne sera pas LE disque de l’année, mais il survivra sans problème à 2014. Pourquoi ? Parce que Kespar offre une musique subtile, aux boucles chaudes et aux caisses-claires sèches, à laquelle il mêle propos désabusé et attitude smooth, cool et souple comme un sample de soul. Way too Slick est une somme de contraires qui s’assemblent, voire qui rassemblent. Avec cette complémentarité entre un son soyeux et un rictus triste, le MC de Grenoble défie la froideur des villes, prend de la hauteur et transforme la clameur des villes en freestyle de rue. De quoi espérer recroiser Kespar au coin d’une rue en 2015 !
Et aussi
- Sameer Ahmad – Perdants Magnifiques
- Onyx – Wakedafucup
- Lucio Bukowski & Nestor Kea – L’Art Raffiné de l’Echymose
- Chill Bump – Ego Trip LP
10 titres
- Sameer Ahmad – « Siwak »
- Onyx – « The Realest »
- Lucio Bukowski – « Satori »
- Zippo – « Le Paradis perdu »
- Fayçal – « L’Appel de la nuit »
- Behybé – « Le Jeu de la mort »
- Kespar – « Cases jaunes »
- L’éxecuteur de Hong-Kong – « La Ballade du Kid »
- JP Manova – « Longueur d’Onde »
- Layla SBX – « When I Need It. (I really don’t need it.) »
2014 : la Suisse à contretemps
Pendant qu’on bouclait notre récapitulatif 2013, le rap suisse a pondu deux monstrueux disques, passés un peu (complètement ?) inaperçus dans nos contrées. Le premier, porté par Monsieur Mat, est une ogive de désinvolture, avec un flow qui s’inspire à la fois de la nonchalance catégorique d’un Ekoué, et l’espèce d’aisance façon Time Bomb. Bien sûr, c’est toutes proportions gardées, Monsieur Mat n’est pas Ill, et son excellent compère Big C n’est pas Cassidy. Mais à l’interrogation de l’album Abouti ou Pas, on trouvera des réponses dans les flashs nyctalopes et les aigreurs envahissant chaque rare halo de lumière qu’il reste dans cette galette du label SWC. Le second disque, c’est le joyaux Murmures Barbares porté par Idal & Hook. Un échouage géant de « cercueils d’encre » et de mots pliés et repliés en « origamis », poussés par les vagues d’instrus qui sont tantôt des murmures, tantôt des productions électro barbares. Deux disques pour toutes « les fourmis qui se débattent dans leurs torrents d’asphalte ». Ça ne chante pas, ça parle aux murs et aux feuilles blanches, c’est tout.
JB Album de l’année : Kidnapped (Wara from the NBHD)
Le clip de « Beige » résume bien la personnalité de Wara from the NBHD, rappeur-producteur basé à Atlanta : on le voit passer le balai dans un studio de tournage, avant de grimper sur scène pour faire le playback de son propre morceau. Il y a à l’image pas mal d’auto-dérision, des grandes ambitions en sourdine, quelques zones d’ombre dans le texte (« Same shit that I be selling / That crack rock beige »), et une énorme influence qui chapeaute le tout : la casquette N.E.R.D. sur sa tête. Comme Tyler, The Creator avant lui, Wara est un enfant des Neptunes : il est né en 1990, et s’est probablement pris l’album In Search Of… de plein fouet au début de l’adolescence. L’effet est visible, il est de ces jeunes artistes qui ont complétement intégré le caractère débrouillard de la production Neptunes : pas besoin d’être pianiste pour jouer du piano, pas besoin de guitare pour être un guitar hero. Kidnapped a ainsi l’unité de ton des albums faits maison : la production est imparfaite et accidentelle, mais la cohésion est là. Rappeur sans esbroufe, Wara traîne une nonchalance froide – il faut dire que le garçon a grandi à Brooklyn – et démontre un sens affuté du refrain (« Scrilla », « Squeal ‘(Peel off) »). Kidnapped est concis (onze titres, cinquante minutes) et la multitude de clins d’oeil au son Neptunes montre surtout le potentiel d’un artiste très observateur : Wara est encore entrain d’étudier ses influences. Quand il en aura fait la synthèse, il devrait franchir un nouveau cap.
Et aussi
- Schoolboy Q – Oxymoron
- Mobb Deep – The Infamous…
- Nicki Minaj – The Pinkprint
- Freddie Gibbs & Madlib – Piñata
10 titres
- 50 Cent – « The Funeral »
- Drake – « 0 to 100 / The Catch Up »
- Yelawolf – « ‘Til It’s Gone »
- Cozz – « Knock tha Hustle »
- Jay Rock – « Pay For It » (ft. Kendrick Lamar & Chantal)
- Big K.R.I.T. – « Mt. Olympus »
- Rick Ross – « Thug Cry » (ft. Lil Wayne)
- Jay Electronica – « Better in Tune with the Infinite »
- Rae Sremmurd – « No Type »
- Chinx – « The Silence » (ft. French Montana)
2014 : l’année Drake (encore)
Non, il n’a pas sorti d’album, mais Drake a marqué l’année 2014 de son empreinte, peut-être plus encore qu’en 2013, et bien plus que tous les autres rappeurs qui respirent l’air raréfié au sommet de la pyramide. Les festivités ont commencé dès le réveillon, avec la sortie consécutive de « Trophies » et « We Made It ». Les cotillons à peine retombés, Drake n’a plus quitté le radar, et a joué sur tous les tableaux en même temps : inédits luxueux (« 0 to 100 »), cooptations pertinentes (iLoveMakonnen), featurings stratégiques (YG, Future)… Jouez tous ces titres en aléatoire, choisissez une photo quelconque sur l’Instagram de @champagnepapi, et vous obtenez le vrai blockbuster de 2014. En parallèle, Drake a continué de porter la ville de Toronto sur ses épaules, et à poursuivre le développement de sa (October’s Very) Motown : le crooner PARTYNEXTDOOR devient incontournable, et le duo Majid Jordan a sorti le deuxième chef d’œuvre de 2014 à s’appeler « Her ». La suite s’appelle View from the 6, son quatrième album annoncé pour 2015. « I’m only 27 and I’m only gettin’ better » affirme-t-il dans « The Catch Up ». Difficile de lui donner tort : Drake vient de boucler cinq ans d’ascension, avec trois disques majeurs au compteur. La question est de savoir si 2015 sera pour lui l’année du plafonnement, ou celle de la réinvention.
Brice Album de l’année : À l’abri (Georgio)
La belle success story du rap français de 2014, c’est lui. Révélé au grand public pour sa collaboration avec le groupe Fauve, omniprésent tout au long de l’année sur la scène hexagonale, Georgio a su profiter de la bonne trajectoire que prend actuellement sa carrière pour s’imposer parmi les grandes confirmations de cette année. Après la mixtape Nouveau Souffle, réalisée en collaboration avec les internautes, le jeune parisien de 21 ans a prouvé qu’il avait encore des choses à dire en dévoilant son deuxième EP, À l’abri. Un disque mélancolique, mais plus optimiste que sur ses anciennes sorties. Georgio l’explique, sa musique est un voyage au cœur de ses nuits passées à gratter ses textes, ce qu’il n’ose pas montrer aux autres. Le cri alarmé d’un gamin qui n’a que la musique pour exprimer ce qui le taraude. Mais aussi ses joies, depuis peu : « Fini les tafs d’été, je suis sur scène et ça me délivre, dites à mes parents qu’en ce moment je suis heureux, ouais ça c’est dit. » La révolte d’un enfant de la capitale, dont la sincérité transperce ce nouveau disque. Parlant, mais surtout touchant.
Et aussi
- Orgasmic & Fuzati – Grand Siècle
- Caballero – Le Pont de la Reine
- Clipping. – CLPPNG
- Fixpen Sill – On verra plus tard
10 titres
- Shtar Academy – « Les portes du pénitencier »
- Caballero – « Le plus fin »
- Akhenaton – « Tempus Fugit »
- Grems – « Pinocchio »
- Mick Jenkins – « Rain »
- Iggy Azalea – « Fancy » (ft. Charlie XCX)
- SBTRKT – « Voices In My Head » (ft. ASAP Ferg)
- Spank Rock – « Gully »
- Schoolboy Q – « Man Of The Year »
- JP Manova – « Longueur d’onde »
2014 : le renouveau du beatmaking français
Ils ont tous moins de 25 ans, et le monde de la musique électronique les apprécie autant que celui du hip-hop. Stwo, Fakear, Superpoze, Twinsmatic… quelques noms parmi une multitude de nouvelles pousses françaises à faire le pont entre les genres, pour des productions léchées, dansantes et élaborées. L’histoire est souvent la même : beaucoup de musique, un réel amour du hip-hop, et la découverte des innombrables possibilités qu’offrent la house et la techno dans le monde de la musique électronique. Tous français, ces jeunes musiciens se moquent des repères établis, et balancent sur leurs comptes Soundcloud des remixes ainsi que des titres qui affolent les compteurs. Pour preuve, le parisien Stwo dépasse depuis bien longtemps les millions de vue sur la plateforme. Fakear, lui, est en train de séduire un plus large public avec son mélange de sonorités world et de basses lourdes. Son confrère caennais Superpoze entamera de son côté une nouvelle tournée dans tout le pays dès l’année prochaine. Les Français n’ont pas à rougir sur le terrain du beatmaking : en témoigne ce « Untitled », doux et subtil, qui se balade entre house épurée et kicks profonds prêts à s’offrir à n’importe quel bon MC.
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