IPM - La Galerie des glâces
Aux yeux du reste de la France, Lyon n’a jamais été une place forte du rap. La ville n’était pourtant pas dénuée de rappeurs. Seulement, jamais ils ne se sont organisés pour une exposition nationale. Ou presque. Si les Lyonnais avaient eu un court moment de gloire sur le deuxième volume de Rapattitude ou encore dans l’antichambre du Peuple de L’Herbe (ex-DNC), un groupe s’est réellement bougé : IPM. La Galerie des glaces est le résultat d’un long travail dans l’ombre, aussi bien artistique que structurel. Et si les featurings d’Ärsenik et du Troisième œil ont aidé à sa renommée, le disque doit avant tout sa petite percée nationale aux années d’efforts, aussi bien en ce qui concerne l’artistique que la production exécutive. Purement boom-bap, avec un réel travail sur les beats, les instrumentaux ont ce quelque chose d’américain, jusqu’à un sample partagé la même année avec Diamond D et CRU (« Tout ce qu’on aura pas »). Mais il est aussi très français, dans ses textes, ses scratches qui reprennent les phases des rappeurs français majeurs de l’époque et ses thèmes couvrant les sujets chers au rap hexagonal et aux groupes indépendants. Pour ne pas dire autoproduits puisque c’était le cas d’Impact Par les Mots. Une alchimie solide entre le beat, le flow et les mots d’un groupe qui s’était si bien structuré que lorsqu’il a été question de franchir un palier après cet album, il n’a pas su choisir. Tout sauf un hasard si cinq ans plus tard, leur second album s’est appelé Un Pied dans le biz, et non deux.
Eric « Le Sourcier » Bellamy
(Beatmaker d’IPM)
« À l’époque, le premier groupe activiste sur Lyon avait été MCM 90, que l’on peut entendre sur le deuxième volume de la compilation Rapattitude. Mais à l’époque où nous avons démarré, c’était DNC qui se bougeait à Lyon. Ce groupe est l’ancêtre du Peuple de L’Herbe. Ils étaient dans les réseaux de tournée puisqu’ils avaient gagné un prix découverte au Printemps de Bourges. À côté de ça, il y avait des groupes comme nous, des MCs assez jeunes mais la plupart dans leur coin, qui ne savait pas trop comment se structurer. Nous, on a regardé comment les Parisiens faisaient. « Si eux y arrivent, pourquoi pas nous ? » Alors on s’est cassé la tête et on les a imités. On a été se rencarder à l’antenne locale de ce qui s’appelle aujourd’hui l’IRMA et on a monté une association. Pour nous, c’était une découverte. Pour se financer, on a chacun contractualisé des prêts étudiants, en nos noms propres avec reconnaissance de dette. Avec cet argent on a acheté du matos, nos premiers samplers, nos premières platines. Ce statut d’association nous permettait de faire des factures, de payer les frais. De fil en aiguille, on a décidé de faire un album : La Galerie des glaces. J’étais proche du label Alariana, et ils travaillaient avec Jeff Dominguez. Les mecs qu’on connaissait au studio à Lyon faisaient des efforts, mais ça restait des mecs qui venaient du rock. Avoir Jeff Dominguez, c’était important pour dépasser le contexte local et avoir un son rap. L’album a un son américain mais garde un côté très français quand même. Comme tous les rappeurs français, on revendiquait de garder un côté français dans le son, même si on était évidemment influencés par les USA. Au niveau des instrus, il y a effectivement le sample de David Axelrod sur « Tout ce qu’on aura pas » qu’utilise Diamond D la même année dans son remix de « The Hiatus » pour CRU. Honnêtement, je ne me souviens plus qui de nous ou de Diamond D l’a utilisé en premier. [Rires] Ce n’est pas la seule collision de sampling entre rap français et américain, c’est une époque où le rap du monde entier poursuit ce type de sample. Idem, le scratch était important. Mon disque de chevet c’était The Main Ingredient de Pete Rock, et il avait tout ça : ses séquences de scratch, ses samples de soul. C’était l’un de mes albums références. Nos influences étaient aussi West Coast car à Lyon, ça écoutait beaucoup de Funk et de G-Funk. La ville a cette culture-là. À Lyon, il y avait aussi Le Gang du Lyonnais dont on était proche. Wilfried arrivait de New York et était le beau-frère du beatmaker de DNC. Rafik, l’autre membre du Gang avait fait partie de MCM 90. Eux était comme nous : en mouvement, ils ne voulaient pas être attentistes. À notre différence, eux se sont positionnés directement en voulant travailler avec Paris, alors que nous, on voulait vraiment placer Lyon sur la carte. Inviter à la fois des Parisiens, via Ärsenik, et des Marseillais, via Troisième Oeil, c’était aussi une façon de se positionner, puisque Lyon est à mi-chemin entre les deux villes. Quand le disque sort, on est contents du résultats, on rembourse nos prêts étudiants et on se crée un fond de roulement. On monte une vraie structure, le label La Lyonnaise des Flows. On recrute un mec qui sort de chez Sony Lyon pour développer le label. Mais malgré quelques maxis, on a mis cinq ans à sortir l’album suivant. On a trop tergiversé. On avait rencontré tellement de gens, tellement bougé sur scène, qu’on se posait mille questions sur ce qu’on devait faire pour le deuxième album. On a un MC de plus qui arrive. Il a fallu s’adapter aussi à ça. On nous propose de signer chez BMG, on refuse. On regrette, on discute avec Universal, qui nous demande de faire tel ou tel type de morceau et on tombe dans le panneau pour au final un deal qui ne se fait pas… On avait bien bossé, mais on n’était pas prêts pour faire face la nébuleuse des maisons de disques. On avait envie de percer et en même temps, on est peut-être trop resté farouchement indépendants. Au final, on a eu qu’un seul pied dans le business, d’où le titre du deuxième album. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en décembre 2018.